Autour du travail

Et si le bien-être s’invitait au travail ?

Le réseau Ell’à Brest (dont je fais partie depuis un an) a organisé hier une conférence sur le thème « Et si le bien-être s’invitait au travail ? » pour parler de la souffrance au travail et des risques psycho-sociaux professionnels (RPS) avec le Docteur Jean-Paul Alard, médecin généraliste et psychothérapeute. Depuis 2003, il tient une consultation de Pathologies professionnelles au CHU de Brest. En voici un petit compte-rendu à chaud.

Le message fort de la soirée était que la souffrance au travail était essentiellement dûe à des problèmes de management (volontaires ou involontaires) et qu’il existait des moyens de s’en sortir (ou même mieux de la prévenir).

Autre message fort en direction des cadres (je résume !) : « si vous êtes payés plus par rapport aux personnes qui exécutent, c’est notamment pour gérer les problèmes et les situations difficiles », « en tant que cadre, vous devez être informés de ce que ressentent vos collaborateurs, pour cela multipliez les moments de rencontres, d’échanges – pauses cafés, etc., un conseil : sortez de votre bureau ».

De part son expérience professionnelle malheureusement fournie (comme il l’a dit « je sais qu’il y a des entreprises où les personnes sont heureuses de travailler, malheureusement, je ne vois que celles où le mal-être domine »), il a pu présenter les faits de façon à la fois théorique et très concrète. Il a rappelé qu’il n’y avait pas de profil type : « tout le monde peut être concerné : les cadres, les non cadres, les hommes, les femmes, tous les secteurs d’activité, etc. ». Même la personne la plus solide peut être détruite en 6 mois si les conditions de travail et de management sont extrêmement nocives, a-t-il constaté. Les femmes peuvent être davantage touchées en raison de leur double journée et du fait qu’elles portent encore très majoritairement la vie quotidienne et familiale, en plus de leur activité professionnelle (un message à leur attention : déléguer, déléguer…)

Selon lui, la prise de conscience a réellement commencé en 1998 avec les livres de Christophe Dejours, Souffrance au travail et de Marie-France Hirigoyen, Le harcèlement moral. Il a également insisté sur le rôle d’internet (blogs, forums, sites…) dans la sensibilisation de l’opinion publique à ces problématiques. Il a rappelé que depuis la loi du 17 janvier 2002, l’employeur était responsable de protéger la santé mentale des salariés de l’entreprise au même titre que leur santé physique. Il a également évoqué à plusieurs reprises le rôle de la justice face à ses questions.

 Comment définir les RPS ? : la souffrance mentale (morale) au travail est un état psychique qui se situe entre la maladie mentale et la santé mentale. Elle mobilise la subjectivité des individus et appelle souvent le déploiement de stratégies défensives individuelles (adaptées au non).

Derrière le terme de RPS, plusieurs situations existent : le stress professionnel, les violences/agressions externes ou internes, le harcèlement moral ou sexuel, la résignation acquise (« de toute façon, rien ne changera », « je n’y crois plus moi-même mais je me résous »), l’épuisement professionnel ou burn out (il a d’ailleurs évoqué le débat actuel pour que celui-ci soit reconnu comme maladie professionnelle).

■ Quels sont les stresseurs professionnels ?

– ils sont liés à l’individu lui-même (sa façon de s’organiser, de gérer son temps…)

– ils sont liés au techno stress (outil informatique, téléphone, tablettes, etc.)

– ils sont liés à l’ingérence des problèmes issus de la sphère privée dans la vie professionnelle (soucis familiaux, financiers, etc.)

Les 3 composantes du stress professionnel : les exigences du travail (ce que l’on peut nommer la charge de travail en termes de quantité, de complexité et de contrainte de temps), l’autonomie dont dispose le travail et enfin le soutien technique ou émotionnel (soutien social) qui est selon lui bien malmené par les organisations actuelles du travail. Il a dénoncé vigoureusement l’open space qui est selon lui, à quelques rares exceptions près, une « aberration » et un facteur important de stress.

Enfin, les stresseurs sont liés à la fois au travail et à son contenu, à l’entreprise et aux relations interprofessionnelles (management, conflits interpersonnels, népotisme, troubles de la personnalité, harcèlement, bêtise, méchanceté, cruauté mentale, homophobie, xénophonie…).

■ Les symptômes 

Un stress durable et répété se traduit par des manifestations psychiques, somatiques, comportementales. La liste est longue : irritabilité, fragilisation intellectuelle, sensation d’inconfort, repli sur soi, baisse de la libido, perte ou prise de poids, prise excessive d’alcool, de tabac et autres drogues, céphalées, cauchemars, pleurs, perte brutale de la confiance en soi (se sentir capable de) et de l’estime de soi (se sentir valable), insomnie, ruminations, sentiment de solitude et d’impuissance, etc.

■ Remarque importante 

Les réactions d’adaptation face au stress sont propres à chaque individu et influencées par son passé, ses acquis, le moment de la survenue du stress, les effets qu’il imagine. Ce qui explique que face à une même situation de stress, les personnes ne réagissent pas de la même façon.

■ Ses conseils

– opter pour un mode de vie sain (sommeil réparateur – dormir au moins 6h30 par nuit, alors que 30% des actifs dorment 6 heures ou moins par nuit, alimentation équilibrée, activité physique régulière, vie sociale, passer du temps et prendre soin de ses proches -conjoint, enfants, etc.)

– s’adresser au corps médical pour être pris en charge (médecin traitant en premier, médecin du travail ou de prévention, etc.)

– changer d’atmosphère (cela passe souvent par une phase de « deuil » de son poste, voire de son métier, actuel)

Pour lui, le bien-être au travail peut être comparé à un trépied composé de l’autonomie, de la responsabilité et de l’intensité au travail. Il a également cité une étude qui révèle que les salariés associent le bien-être à 3 éléments : le sentiment d’appartenance, la reconnaissance du travail accompli et la fierté du travail bien fait.

Et sa phrase de conclusion a été une citation (de je ne sais plus qui) : « La reconnaissance au travail n’est ni une affaire de gentillesse ni un signe de faiblesse mais un enjeu de management ».

Vos commentaires sur cette petite synthèse sont les bienvenus !

■ Quelques billets en rapport :

De bon matin, un film sur la souffrance au travail

Entretien avec Yves Clot, psychologue du travail

C’est le travail qu’il faut soigner, davantage que les personnes

Le travail peut sauver. Il peut aussi tuer

Delphine de Vigan, « Les Heures souterraines » ou la souffrance au travail

Travailler à armes égales de Marie Pezé

Mal-être au travail de Jacques Baugé

L’open space m’a tuer

Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés de Marie Pezé

 

7 thoughts on “Et si le bien-être s’invitait au travail ?

  1. Bonjour Gaelle,
    Je lis l’article et ca me fait penser à deux sujets :
    – J’ai rencontré Christophe Laval. qui est un expert de la reconnaissance au travail. Il a écrit un livre là dessus (mais soudain je me demande si ce n’est pas via aparté que j’ai entendu parler de lui) ! ?? c’est çà ?

    – je collabore avec une entreprise qui s’appelle 2Spark Learning et qui propose une solution d’ancrage des connaissances qui active deux leviers : la répétition pour apprendre et la reconnaissance de l’effort d’apprentissage pour l’engagement.
    Sa fondatrice est une femme qui s’efforce de concilier vie pro et vie perso et qui applique cette doctrine à ses associés et collaborateurs. Voilà peut-être un sujet d’article !

    Pour avoir « souffert » au travail, je suis finalement bien contente d’avoir sauté le pas et choisi l’indépendance !

      

    1. Merci Marie pour ton commentaire.
      Effectivement, j’avais interviewé Christophe Laval ici-même en janvier 2009 : http://www.en-aparte.com/2009/01/27/entretienavecchristophelavalsurlareconnaissanceautravail/
      Il a également un site internet : http://www.reconnaissanceautravail.com/
      Cela m’intéresse l’entreprise dont tu me parles, je vais aller regarder cela et éventuellement peux-tu m’envoyer ses coordonnées par mail.
      Et pour finir, je comprends cette volonté d’indépendance (on évite ainsi les problèmes de management nocif, de relations interprofessionnelles parfois désagréables, les conflits de valeurs, etc.). Cependant comme l’on souligne les experts, la souffrance du chef d’entreprise est malheureusement également une réalité . Bien sûr, je te souhaite une grosse dose de bien-être et seulement une petite dose de stress (le positif) !

        

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