Lu pour vous

« Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés » de Marie Pezé



Je conseille à tout le monde la lecture du dernier livre de Marie Pezé, « Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés« , publié récemment chez Pearson.

Quand le travail rend malade

« Le travail peut sauver. Il peut tuer aussi ». Tel est le cri d’alarme de Marie Pezé, docteur en psychologie et psychanalyste qui dirige depuis 11 ans la consultation « Souffrance et Travail » à Nanterre. Dans ce journal, Marie Pezé nous parle de ses patients, en grande souffrance, qui se sont livrés dans l’intimité de son cabinet : Agathe, aide-soignante, qui sombre dans la paranoïa, Serge, cadre sup, emporté dans une spirale hyperactiviste et qui présente tous les signes de l’épuisement professionnel, Solange, secrétaire, victime de placardisation violente, François, juriste, qui fait une tentative de suicide sur son lieu de travail parce qu’ « il n’y arrive plus »…

Elle constate que la souffrance au travail s’est accrue et ses formes d’expression se sont diversifiées. Ce sont essentiellement des pathologies de surcharges qui peuvent aboutir au suicide. A travers l’exemple de Carole, secrétaire, qui arrive à sa consultation dans un état anxio-dépressif sévère, elle décrit minutieusement l’ensemble des techniques mises en œuvre par son employeur pour la pousser à bout : techniques relationnelles (absence de savoir-faire social, ton verbal élevé et méprisant, critiques du travail…), techniques persécutives (contrôle des communication téléphoniques, de la durée des pauses…) et techniques d’injonction paradoxales
(ordres donnés contredits, énoncé de la tâche qui prête intentionnellement à confusion afin de pouvoir reprocher ensuite au salarié son erreur).

Consciente de la centralité du travail dans la construction identitaire de chacun, Marie Pezé cherche à comprendre l’impact de l’organisation du travail sur la santé physique et psychique des salariés. Elle estime que le harcèlement moral et le stress sont loin de constituer des explications suffisantes. « Psychologiser la souffrance au travail, c’est refermer le couvercle sur les modes d’organisation très élaborés et très nocives ». C’est voir la souffrance seulement sous un angle individuel (une victime/un bourreau) alors que le collectif est aussi en cause (charge de travail, modalités d’exécution…).


Une organisation du travail pathogène

Selon elle, la souffrance au travail est directement lié aux incohérences et aux contradictions des nouvelles organisations du travail et à l’accroissement des performances exigées. L’éclatement géographique des équipes pour casser les solidarités, le travail à flux tendu, les objectifs inatteignables qui mettent constamment le salarié en position fautive, l’utilisation des nouvelles technologies d’abord comme moyen de contrôle du rythme de travail, ensuite comme moyen d’effacement de la frontière vie privée et travail, l’introduction massive de l’évaluation individuelle sous toutes ses formes (rapport d’activité, suivi d’objectif, contrôle de qualité, 360°) sont autant de techniques de management visant à implanter les nouvelles formes de servitude. « Cette disciplinarisation massive des ressources humaines a une contrepartie : la destruction des ressources humaines » prévient-elle.

La manière dont le travail est organisé produit de la solitude et casse les solidarités habituelles. A cela vient s’ajouter la pression morale, sous toutes ses formes et l’effacement de la subjectivité. Or, travailler ce n’est pas seulement produire, c’est se transformer soi-même. Les gestes du métier sont de véritables actes d’expression de notre identité psychique et sociale. « Le travail nous confronte à nous-mêmes. Pour le meilleur, dans l’espoir d’enrichir notre savoir, nos compétences, notre contact au monde, dans l’espoir d’être reconnus, dans l’espoir de nous émanciper socialement. Pour le pire, quand le travail est vide de sens, quand il contraint les corps, quand il verrouille notre fonctionnement mental » estime Marie Pezé. Beaucoup de ses patients sont des femmes, encore surreprésentées dans les métiers peu qualifiées et d’autant plus fragilisées qu’elles élèvent seules leurs enfants.

PS : vous pouvez également lire son interview que j’ai réalisée pour femmes-emploi.fr

8 thoughts on “« Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés » de Marie Pezé

  1. je suis cadre infirmier en arrêt de travail depuis deux ans pour harcèlement moral, reconnue en accident du travail par 5 experts commandités par l’ hopital employeur j’ ai déposé plainte l’ an dernier , le procureur a demandé enquête, comme pas de réponse l’ avocat a saisi le juge d’ instruction j’ ai payé la consignation pour plainte avec partie civile en aout 2009 ,à ce jour j’ attends, je ne vais pas bien les idées noires sont toujours au rendez-vous malgré la présence de mon fils de 14ANS je me suis isolée, j’ ai perdu mon identité professionnelle et avec le temps c’ est mon identité tout court, j’ ai l’ impression de ne plus exister . JE NE VAIS PAS BIEN

      

  2. @ Sany : votre témoignage est particulièrement poignant et les mots deviennent alors bien faibles…si vous souhaitez témoigner plus longuement, vous pouvez m’envoyer un mail en passant par Contact.

      

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