Témoignages vie privée / vie pro

Conciliation vie privée / vie pro : Cécile témoigne

Pour ce nouveau témoignage autour de la conciliation vie privée / vie familiale / vie professionnelle, j’ai le plaisir d’accueillir Cécile. Lectrice (silencieuse mais charmée !) de son blog, 8 à la maison, depuis un bon petit moment, j’ai eu envie d’aller à sa rencontre et de lui demander de s’exprimer sur ce vaste sujet. Un grand merci à elle pour sa confiance et pour le soin qu’elle a pris à répondre à toutes mes questions. N’hésitez pas à réagir à son témoignage en laissant un petit (ou grand) commentaire !

Pouvez-vous présenter en quelques lignes votre parcours perso et pro ?

J’ai 44 ans, un mari (Pap’s) et 6 enfants de 7 à 15 ans. Après des études courtes et efficaces (bac + 3) j’ai commencé à travailler chez un constructeur automobile. J’ai vendu des voitures pour ensuite rejoindre la direction du Marketing. Pendant 10 ans, j’ai travaillé sur des outils d’aide à la vente, des systèmes de bases de données. De la conception des outils à leur déploiement, la formation des utilisateurs, les évolutions : des projets que je suivais de A à Z. Parallèlement je me suis mariée en 95 avec Pap’s avec entre autres projets de vie communs une famille nombreuse. Lui en voulait 6, moi j’ai dit : « on va jusqu’à 4 et on voit à quoi ça ressemble ».
Pap’s a pris 6 mois de congé parental à la naissance de Maël, j’ai pris un 4/5ème à la naissance de Coline, puis un congé parental total à la naissance de Basile. Puis est né Noé, et après une IMG en 2004, Elise et Jonas sont nés en 2005. Malgré un départ en Province, je n’ai jamais démissionné, enchaînant les congés parentaux, pendant lesquels j’ai suivi des cours au CNAM en formation à distance (le créneau 18-21h en cours du soir, c’est impossible pour les mères au foyer), j’ai mis beaucoup d’énergie dans l’association Petite Emilie dont j’étais présidente.
En 2011, j’ai dû choisir entre démissionner ou reprendre une activité. Pap’s a fait mon CV (observateur de mes activités, il a su valoriser mes compétences), et j’ai pris le temps avec la (super) DRH de mon entreprise d’évaluer mes possibilités et mes limites : un mi-temps sur 3 jours pour reprendre, avec la possibilité d’augmenter ce temps de travail au fur et à mesure des années. Aujourd’hui je passe à 3/5ème sur 4 jours.

Dans cette conciliation vie privée / vie pro, qu’est-ce qui vous semble le plus difficile ? (en termes d’organisation, de temps, de disponibilité temporelle/mentale, de partage des tâches, etc.). Et a contrario, le plus gratifiant et le plus positif ?

En cette période de rentrée, le plus compliqué pour moi est de veiller à ce que chacun, dans la famille, trouve ses marques, son rythme, confiance en soi pour l’année à venir. Cela me demande pas mal de disponibilité d’esprit et de temps à passer avec chacun. Me mettre en route sur 6 programmes scolaires différents à suivre, intégrer les horaires de conduites pour chacun des enfants, veiller au remplissage du frigo et des placards, anticiper l’intendance, rythmer les lessives et la salsa des paniers de linge, associer les enfants à la traque des moutons ; heureusement, nous sommes 2 pour assurer la logistique, donc chacun fait au mieux pour que ça tourne.
Parallèlement la situation de mon entreprise est complexe, j’ai des dossiers un peu chauds, des échéances à respecter. Je dirais que le plus compliqué est d’être concentrée sur ce que je fais au moment où je le fais, sans divaguer sur ce que je devrai faire ensuite, que je sois au bureau ou à la maison.
Le plus gratifiant, c’est évidemment pour moi l’état des enfants : niveau d’humour, appétit, sommeil, résultats scolaires : c’est un bon baromètre de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.

Avez-vous l’impression au cours de votre parcours d’avoir fait des concessions soit dans la sphère pro soit dans la sphère perso ? Si oui, les regrettez-vous et pourquoi ?

Je ne pense pas avoir fait des concessions, qui riment de près ou de loin avec « sacrifices » ; j’ai fait des choix, ou plutôt nous avons fait des choix. Nous avons fait le choix d’avoir une famille nombreuse, et notre projet de vie est là. Il n’est pas dans la construction d’une maison, ou dans la réussite d’une brillante carrière professionnelle pour moi. Ma vie n’est pas un long chemin tout droit. J’ai vécu la période femme célibataire qui travaille beaucoup, j’ai vécu la période mère au foyer, je vis la période mère de famille nombreuse qui travaille ; je les ai choisies, ces périodes, je ne les ai pas subies. Donc je n’ai pas de regrets.

Que représentent pour vous votre métier et la vie professionnelle plus largement ? Est-ce que cela évolue avec les années ?

Je n’ai pas un métier précis comme on peut être dentiste, ou éducateur, ou instit. J’ai des compétences qui vont bien avec des besoins dans une entreprise, et je travaille dans une entreprise qui me permet de développer des compétences ; il y a une alchimie qui fonctionne bien. J’ai encore 20 ans de vie professionnelle à mener, c’est 2 fois plus que ce que j’ai fait jusqu’à présent, cela me laisse pas mal de marge pour évoluer, apprendre, etc. Oui mon regard sur ma vie professionnelle a beaucoup changé entre ma période « avant » et « après » mon congé. Je suis là parce que je l’ai souhaité ; je ne travaille pas pour « m’occuper » : pour ça j’ai ce qu’il faut à la maison. Donc j’essaie d’être efficace, d’apporter de la valeur ajoutée. Je n’ai pas de problèmes avec la hiérarchie ou l’autorité, je pense avoir une bonne résistance au stress : j’essaie d’avoir confiance en moi au boulot. Je n’ai pas les dents qui rayent le plancher, parce ce n’est pas dans mon entreprise que je place mes priorités.

La conciliation vie privée / vie pro, est-ce un sujet dont vous parlez régulièrement en couple ? Si oui, y a-t-il des points plus conflictuels que d’autres ?

Oui nous en parlons parce qu’avec 6 enfants, il faut s’ajuster régulièrement : pour que chacun de nous 2 s’épanouisse dans sa vie professionnelle, tout en restant un parent disponible. En réalité il y a un phénomène de balancier qui s’opère : en 2011 Pap’s a tout mis en œuvre pour que ma reprise se passe bien, en se rendant plus disponible pour les enfants et pour moi. Aujourd’hui il crée son entreprise ; c’est donc à moi d’être disponible pour qu’il puisse s’y consacrer totalement. Je pense que ça deviendrait conflictuel si chacun mettait la priorité sur sa vie professionnelle au même moment, mais ce n’est pas prévu.

On parle beaucoup de l’équilibre du partage des tâches entre les hommes et les femmes. Vous écrivez que vous n’y croyez pas vraiment. Pourquoi ? Vous estimez également (cf. votre billet Egalité hommes-femmes revue et corrigée) qu’être une femme peut aussi être une chance qu’il faut savoir saisir.

Ahhh c’est certain que je n’y crois pas et je pense que les couples mettent beaucoup d’énergie à se répartir les tâches pour trouver un soi-disant équilibre. Je pense que si on cherche à trouver un équilibre c’est parce qu’on considère que ces tâches ne sont pas valorisantes, donc il faut les partager. C’est clair que ce n’est pas valorisant de passer une serpillère ou de traquer le mouton, cela ne procure aucun épanouissement. Mais à mon avis la question n’est pas de savoir qui fait le plus ou le moins de tâches non valorisantes; Ces tâches doivent être faites, avec des seuils de tolérance propres à chacun.

Si je veux que le ménage des salles de bains soit fait une fois par semaine, je n’ai qu’à le faire. Si Pap’s souhaite que le salon reste toujours rangé, il s’en donne les moyens. Nous fonctionnons selon 2 dictons assez basiques : « on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif » et « c’est celui qui fait qui a raison ». Donc la question ne se pose pas en termes d’équilibre (c’est un leurre) mais simplement parce qu’on vise le même objectif : le bien-être de chacun dans cette famille, individuellement, et ensemble.

Oui, j’ai écrit ce billet sur la chance qu’ont les femmes d’avoir dans leur parcours la possibilité de s’arrêter à l’occasion de leurs maternités. De changer de vie, de voie, d’ambitions, de rythme. De se poser et de se demander vraiment si leur vie d’hier est celle qu’elles souhaitent mener demain. Pour les hommes c’est plus compliqué : ils sont dans un couloir dans lequel la pression de la réussite professionnelle est là, pour nourrir la famille et assurer son confort. Toute rupture dans leur parcours (reprise d’études, bilan de compétences, etc) leur est renvoyé comme une prise de risque, voire un échec. On voit plus d’hommes confrontés à des burn-out que des femmes, je pense qu’une des raisons se trouve là.

Par rapport à vos enfants, au temps et à l’attention que vous leur consacrez, à leur éducation de façon générale, sur quels points êtes-vous particulièrement vigilante, attentive ? Quels sont les points sur lesquels vous avez parfois le plus de difficultés/insatisfactions ? Avez-vous également l’impression d’évoluer/de changer d’avis sur certains points dans ce domaine ?

Pour l’éducation de nos enfants, j’ai (nous avons) plusieurs « dadas ». Nous nous efforçons d’être pour nos enfants des révélateurs de talents. Chacun de nos enfants a des talents (artistiques, intellectuels, sportifs, relationnels, etc.). Notre rôle est de les repérer, et de les aider à les développer, pour qu’ils choisissent des orientations qui s’appuient sur leurs talents, pour cultiver aussi leurs différences au sein de la famille (cf. un article que j’ai aussi écrit sur la tribu). Nous essayons aussi que nos enfants aient des réseaux variés : l’école, le sport, les scouts, etc. Autant de lieux où ils fréquentent des personnes différentes, auxquelles ils doivent s’adapter, où ils doivent se faire leur place.

La difficulté ? Résister ! Résister à la facilité de leur acheter une DS à 5 ans, un portable en 6ème et un scooter en seconde parce que tout le monde le fait. Expliquer encore et encore que la DS est un jouet individualiste, et qui deviendra objet de chantage (mauvaise note = pas de DS pendant 1 semaine). Justifier qu’en 6ème, le portable n’est qu’un objet fourni par les parents pour fliquer leur enfant, et que nous n’avons pas besoin de les suivre à la trace si la confiance est là. Argumenter que les accidents de vélo sont moins graves que les accidents de scooters. Le tout en transmettant la valeur de l’argent, du coût de la vie, de ce qui est dû et de ce qui ne l’est pas, etc.
Encore une petite expression qui caractérise notre manière de fonctionner : « on préfère leur donner une canne à pêche et leur apprendre à pêcher que leur servir du poisson tout cuit ».

Nous apprenons dans l’action ; nos enfants sont là pour nous faire grandir. Leur rôle est de repousser nos limites, le nôtre est de résister le plus longtemps possible.

Ma frustration vient parfois du manque de temps. Mais l’important alors est d’être vigilant pour observer celui qui a besoin de plus d’attention, qui est fragilisé, pour se rendre disponible pour lui.

Vous avez écrit récemment un billet « Ma récompense » qui a rencontré un large écho pour dire « Oui, c’est possible ». Que vous inspire les commentaires qui ont été postés sur ce billet ?

L’objectif de ce billet était vraiment de dire : « Oui c’est possible » parce que je pense que si cela a été possible pour moi, alors j’aimerais que ce le soit pour d’autres. Dans les commentaires, j’ai lu l’envie de certaines d’y croire pour elles-mêmes (objectif atteint, donc), la volonté d’autres de regarder leur vie de « femme au foyer » comme une étape qui pouvait être valorisée alors qu’elle ne l’est pas. Mais j’ai lu aussi cette idée que c’est la chance qui a été le déclencheur, alors que pour moi elle n’a été qu’un des facteurs de cette reprise réussie.
Et j’ai lu aussi le manque de confiance en soi pour se relancer, comme si la maternité annihilait nos neurones alors qu’au contraire elle permet d’en activer d’autres.

Vous insistez sur les compétences développées par les mères de famille, pas toujours reconnues par les employeurs. Comment davantage les mettre en avant ? Comment convaincre qu’elles sont utiles dans le monde professionnel ?

Quand j’avais refait mon CV, j’avais commencé par faire la liste de ce que je faisais en tant que mère de famille (autre que les activités purement maternelles) : participer à l’organisation de la kermesse de l’école avec un lâcher de ballons pour 300 enfants, récolter des fonds pour un voyage scolaire, réorganiser toute la bibliothèque de l’école, etc. et tout ce que j’avais fait comme bénévole dans l’association dont j’étais présidente : trouver des subventions, rédiger une lettre trimestrielle diffusée à 2000 personnes, modérer un forum Internet. Rien d’exceptionnel dans ces activités, mais rien qu’en faisant cette liste, cela avait juste mis en évidence qu’avoir 6 enfants ne m’avait pas transformée en une mère nourricière enfermée chez elle à moucher des enfants en préparant des repas.
Oui, ces compétences sont utiles pour les entreprises parce qu’elles relèvent d’un vrai sens de l’organisation, d’une vraie capacité d’adaptation. Travailler et monter des projets avec des gens différents, s’engager dans la durée, mener des actions bénévoles, les RH des entreprises peuvent entendre ces qualités qui valorisent un diplôme datant de 15 ans avant.

Comment vous projetez-vous d’ici 5 à 10 ans en termes d’articulation travail/vie perso/enfants ?

J’imagine que la tendance serait d’augmenter mon temps de travail vers un 4/5ème, ou de développer de nouvelles activités. L’équilibre n’est pas forcément facile à trouver entre travail et famille et maintenant que nous l’avons trouvé, je ne suis pas sûre de vouloir prendre le risque de le remettre en cause. Tout dépendra aussi des enfants : s’ils ont besoin de moi, de nous, ils seront toujours prioritaires par rapport à mon épanouissement professionnel. Notre projet de vie reste tourné autour de nos 6 enfants, qui sont encore jeunes. C’est ce projet là que je souhaite réussir, vraiment. Et à la fois, lorsqu’ils partiront, j’aurai préparé la suite, et vivrai sûrement moins difficilement l’angoisse de la maison vide en ayant une activité professionnelle épanouissante.

17 thoughts on “Conciliation vie privée / vie pro : Cécile témoigne

  1. Bravo pour cette interview!

    questions pertinentes (on voit que vous avez lu le blog de Cécile)… et réponses passionnantes!
    J’ai découvert Cécile lorsqu’elle passait aux Maternelles, et j’ai tout de suite lu son blog!
    je ne m’en lasse pas, je trouve cette femme bourrée de talents: intelligence, humour, intelligence de la vie. Et les gens intéressants comme elles, il y en a assez peu, de nos jours
    Elle n’est pas féministement correcte, elle n’est pas « à la mode », elle est juste elle-même, je la trouve touchante de naturel et de sincérité! elle donne l’impression d’assumer ses choix et d’avoir une force de caractère admirable!
    (je précise que je ne la connais pas 🙂

    (PS: ça change des interviews/papiers gnangnans/enfonceurs de portes ouvertes/provoc faciles, je trouve qu’on laisse trop la parole à des gens qui n’ont rien à dire…)

      

    1. Merci beaucoup Marine pour ton commentaire ! Moi, j’ai découvert Cécile via son blog depuis un petit moment déjà et c’est ce mélange de billets à la fois drôles et sérieux, anecdotiques ou beaucoup moins qui m’a bien plu (et donc sa personnalité). Et puis, un mari, 6 enfants, un boulot à temps partiel, un blog, des engagements associatifs, etc. (et en plus l’arrêt de la clope il y a 2 jours!!), on ne peut qu’avoir envie d’en savoir plus ! En tout cas, je suis vraiment très heureuse d’avoir pu l’accueillir ici.
      Merci également pour les compliments qui me sont adressés 😉
      PS : sais-tu qu’En Aparté cite régulièrement tes billets dans ses revues de presse et de blogs (le dernier en date celui sur le couple) 🙂

        

  2. J’aime ! Comme toujours Cécile je me retrouve dans beaucoup de ce que tu écris… j’espère que je pourrai en dire autant dans quelques mois… la reprise n’est pas évidente je trouve… pour l’instant ce n’est pas épanouissant…

      

    1. Merci Prune pour votre commentaire. Moi aussi, j’aime le témoignage de Cécile 🙂
      J’espère que les choses vont s’améliorer pour vous, avec davantage d’épanouissement et de satisfaction…Bon courage !

        

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