J’ai lu avec intérêt et attention l’essai de Renata Salecl, La tyrannie du choix (Albin Michel). Le titre m’avait fortement interpellée. C’est un texte riche, parfois compliqué (enfin, pour moi !) : si certains passages m’ont paru facilement compréhensibles, d’autres beaucoup moins (en raison notamment de nombreuses références philosophiques et psychanalytiques que je ne possède tout simplement pas !). Pour information, Renata Salecl est philosophe, sociologue et historienne du droit. Elle est née en Slovénie (elle a donc connu l’idéologie communiste puis l’effondrement de celle-ci et l’apparition du capitalisme dans son pays, je résume hein !).
Malgré ces difficultés réelles, j’ai pris plaisir à essayer d’entrer et de comprendre sa thèse (j’aime bien parfois secouer un peu mes neurones…).
Voici ma synthèse de cet essai (forcément subjective) que je vous invite à lire en entier :
– L’écrasante profusion de choix dont nous bénéficions dans nos sociétés occidentalisées augmente notre angoisse et nos sentiments d’insatisfaction et d’échec. En effet, il existe un lien étroit entre liberté et anxiété. Or cette dernière peut paralyser les gens. Face à cet excès de choix, l’auteur évoque la tentation de ne pas choisir, de sombrer dans l’indécision, dans la « procrastination indéfinie », afin d’exclure par avance la possibilité de l’échec. Autre facteur d’angoisse : la peur de la perte. En effet, en faisant tel choix, je perds ce qu’aurait pu m’apporter tel autre choix ou encore la peur de perdre ce que l’on a par rapport à ce que nous sommes en position de gagner.
– L’idéologie de la liberté de choix, rappelle-t-elle, est loin de ne s’appliquer qu’aux objets de consommation, mais également à nos choix existentiels. Cette idéologie alimente l’idée que chacun d’entre nous est le maître ultime de sa vie et de son bien-être (de sa religion, de son partenaire amoureux, de son métier, de son identité sexuelle, de sa mort, de sa santé…). L’individu occidental contemporain est censé tout choisir, en toute liberté. Mais à force de glorifier le choix personnel, on alimente l’illusion de toute-puissance de l’individu. Le credo de nos sociétés occidentales est « choisis ta vie », « sois toi-même », « deviens toi-même ». « En nous imposant toujours plus cette idée que les événements de la vie seraient une simple affaire de choix et qu’il nous reviendrait de décider comment nous voulons vivre, on nous donne à penser que l’amour et la sexualité seraient aussi faciles à gérer que le choix d’une carrière ou d’une destination de vacances ».
– Résultat : le jour où l’individu échoue, il se sent honteux. L’autre versant de la toute-puissance, c’est la culpabilité. L’idée que nous sommes maîtres de notre bonheur ne représente pas seulement une promesse de liberté mais également un poids terrible, accablant.
– Face à cette multiplicité des possibilités, à sa solitude devant les choix et pour diminuer son angoisse, l’individu a souvent qu’une hâte, celle de renoncer à sa liberté et de partir en quête d’une autorité, de l’Autre (espace social, les autres), qui l’aidera à faire le tri entre toute les options (cf. la prolifération des coachs en tout genre qui constitue selon elle une nouvelle forme de contrôle social : le coaching encourage les individus à s’auto-réguler davantage et à s’adapter constamment aux changements de la société). « Notre désir le plus pressant est au contraire de nous voir ôter le fardeau d’avoir à faire des choix ».
– De plus, nos choix ne sont pas aussi rationnels que l’on croit, mais plutôt régis par des forces inconscientes et irrationnelles. Cette idéologie du choix rationnel, transposée du domaine de l’économie, est un leurre. Ce que nous choisissons est forcé par notre perception de ce que la société juge bon. « Notre choix dépend si souvent de la vision et de l’influence d’autrui ».« Les choix s’opèrent souvent à un niveau inconscient et sont fortement influencés par la société dans laquelle nous vivons».
– Autre point intéressant : le désir reste vivant tant qu’il se heurte à des limites et est intimement lié à l’interdit. La disparition des anciennes limites, de certains interdits, l’absence de restrictions ont tendance à engendrer de l’insatisfaction, de l’ennui, de la solitude, « une anorexie du désir ».
– Malgré ces mises en garde, Renata Salecl se dit favorable au choix (« le choix, une capacité humaine essentielle qui ouvre la possibilité du changement »). Mais elle estime que l’idéologie actuelle du choix au niveau individuel est politiquement et socialement démobilisante. Quelques citations : « Obsédés par l’idée de nous améliorer individuellement, nous perdons l’énergie et la capacité nécessaires à nous engager dans le changement social.». « On ne pratique plus la critique sociale mais seulement l’auto-critique. “La honte de ne pas réussir a remplacé le combat contre l’injustice”. « Le capitalisme démocratique libéral encense l’idée de choix, mais avec cette clause restrictive que ce qui est proposé est d’abord et avant tout un modèle consumériste ». « Le succès de l’idéologie du choix dans la société actuelle a été d’aveugler les gens sur le fait que leurs choix réels sont devenus sérieusement limités par les divisions sociales et que des questions comme l’organisation du travail, la santé, la sécurité et l’environnement apparaissent de plus en plus en dehors du champ de leur choix ».
– Sa conclusion : nous pouvons choisir d’accepter ou de refuser la tyrannie du choix – et commencer par comprendre ce qui est réellement proposé.
Notes : pour rédiger ce billet, en plus du livre bien sûr, je me suis appuyée sur une interview de Renata Salecl ainsi que sur différentes critiques.
Qu’est-ce que cela vous inspire ? Ressentez-vous cette « tyrannie du choix » ? Avez-vous le sentiment que nos choix sont effectivement lourdement influencés par des facteurs externes (la société en général) ou internes (désirs et souhaits inconscients) ? Et que cette injonction à être libre de toute emprise est une illusion et une source de frustration ?
Edit du 2 octobre : je vous conseille également de lire l’enquête du magazine Clés intitulée « Trop de choix tue-t-il le désir ? » par Catherine Segal. Edit du 18 novembre : Thierry Jobard dans le magazine Sciences Humaines a également écrit une critique de l’ouvrage de Renata Salecl
Merci pour ce petit compte-rendu! Le titre du bouquin m’avait attirée.
J’avais déjà lu l’une ou l’autre chose sur le paradoxe de cette large liberté de nos sociétés.
J’y pense souvent lorsque je lis que certaines femmes prônent leur liberté pour ne pas allaiter. J’ai référencé votre article sous le post suivant sur fb: « Le Problème avec l’allaitement : réflexion personnelle » de James Akré : https://www.facebook.com/notes/choix-%C3%A9clair%C3%A9s-autour-de-la-maternit%C3%A9/le-probl%C3%A8me-avec-lallaitement-r%C3%A9flexion-personnelle-de-james-akr%C3%A9/463944650310357
Den
Entre autres, voici un autre bouquin sur le même sujet au titre très évocateur également: « the paradox of choice »
http://www.ted.com/talks/barry_schwartz_on_the_paradox_of_choice.html
Den
Merci Den pour votre passage sur le blog et votre commentaire. Renata Salecl évoque dans son livre à plusieurs reprises celui de Barry Schwartz -je ne l’ai pas lu mais j’ai écouté sa conférence. Contente en tout cas que ma synthèse vous ait plu !
Gaëlle