Initiatives/Bonnes pratiques Portraits de femmes

Valérie Duez-Ruff, 34 ans, avocate et fondatrice de Moms à la Barre

Grâce à Twitter, j’ai eu l’occasion de découvrir les actions mises en oeuvre par l’association Moms à la Barre et d’échanger quelques tweets avec sa fondatrice, Valérie Duez-Ruff. Connaissant moi-même des femmes avocates, dont certaines rencontrent des difficultés pour concilier activité professionnelle et vie familiale, j’ai souhaité interviewer Valérie pour en savoir plus sur son propre parcours et sur ses différents engagements. Un grand merci à elle pour cet échange très intéressant !

Pouvez-vous nous présenter votre parcours professionnel et personnel ?

J’ai obtenu une double maîtrise en droit français et espagnol puis un DESS de gestion des industries du luxe et des métiers de l’art.

Je suis avocate au Barreau de Madrid depuis 2001 puis en 2005 j’ai prêté serment au Barreau de Paris.

Après une première expérience de collaboration difficile, j’ai voulu me mettre à mon compte mais débutante dans le métier et sans relations ou réseau, ce fut difficile.

J’ai donc dû reprendre une collaboration en cabinet d’avocats.

Puis j’ai eu mon premier enfant. Si la grossesse s’est bien passée, mon retour de mon congé maternité a été plus problématique. Rapidement, j’ai eu le droit à des remarques sur mes horaires (alors que j’étais présente de 9h à 19h) puis, de façon injustifiée, sur la qualité de mon travail. Une phrase m’a particulièrement choquée « Je n’en ai rien à faire que vous ayez un enfant ou un mari handicapé (ce qui n’est pas le cas), ce que je veux c’est que vous travailliez plus, sinon j’en tirerais les conséquences ». J’ai préféré démissionner pour me mettre à mon compte, ce qui ne m’a pas empêché d’avoir un deuxième enfant dans la foulée.

Pendant la période des reproches, énervée par cette attitude injuste, j’en ai parlé autour de moi. C’est alors que je me suis rendue compte que des situations plus graves que la mienne existaient, par exemple des avocates qui se voyaient notifier la fin de leur collaboration à l’annonce de leur grossesse ou le jour de leur retour de congé maternité. Il faut savoir que dans le statut de collaboration libérale, on peut voir son contrat rompu (avec un préavis), sans aucune raison, et bien sûr sans droit au chômage. Tout ceci m’a incité à fonder l’association Moms à la Barre fin 2010.

Quels sont les objectifs de Moms à la Barre ?

L’idée était de sortir les avocates mamans ou futures mamans de l’isolement dans lequel nous nous trouvons et ce, par la voie de plusieurs actions.

Tout d’abord en mettant fin aux discriminations liées à l’état de grossesse ou de maternité. Souvent les avocates n’osent pas faire valoir leurs droits en cas de discrimination par peur des représailles. Or, je suis convaincue que le fait de communiquer sur ces situations inacceptables présente un caractère dissuasif à l’égard des cabinets.

Egalement en étant un lieu de rencontre et d’échanges. Au départ, nous organisions des réunions mensuelles. Maintenant, ce sont davantage des rencontres liées à des événements ponctuels (déjeuner « Avocates : osez réussir ») ou à des formations (le développement du potentiel commercial, le droit à la parentalité pour les avocats). L’association fournit aussi des informations sur les droits et obligations particuliers liés à cette période car, paradoxalement, les avocats méconnaissent leurs droits.

Tout ceci avec l’objectif de vivre plus sereinement notre profession, même en situation de maternité.

En effet, je suis choquée par les statistiques d’abandon de la profession (1/3 des femmes après 6 ans d’exercice). Ce qui me révolte c’est que, en général, ce n’est pas une volonté de l’avocate mais plutôt un choix forcé. Quand on connaît l’investissement humain et matériel que requièrent des études aussi longues, je n’accepte pas que certaines abandonnent ce qui était à l’origine une vocation par peur de ne pas parvenir à concilier.

D’où l’importance de communiquer, de montrer que oui c’est possible d’être avocate, maman et épanouie dans ces deux sphères. Et qu’on peut même s’investir dans les organes de notre profession !

C’est aussi pour mieux véhiculer nos messages que, actuellement, nos actions s’apparentent davantage à du lobbying.

En effet, j’ai la chance d’avoir obtenu un relai bienveillant de la part de l’Ordre des Avocats de Paris et particulièrement de son représentant, Madame le Bâtonnier Christiane Féral-Schuhl, puisque je participe à deux commissions ordinales « Femmes au barreau » et « Qualité de vie » au sein desquelles nous  œuvrons respectivement pour la place des femmes dans la profession et pour améliorer les conditions de vie des avocats. Ainsi, nous avons organisé la première Journée de la Femme du Barreau de Paris et travaillons actuellement sur la seconde édition. Nous avons également organisé une Journée contre les violences faites aux femmes qui s’est tenue le 25 novembre dernier. Ces évènements sont accompagnés de mesures concrètes comme la signature par l’Ordre des Avocats de la Charte de l’Egalité en juillet 2012 et enfin depuis un mois la création de la Ligne Bleue, hotline de soutien psychologique aux avocats. Ces deux commissions travaillent de concert depuis peu pour un projet innovant qui aura lieu en mars prochain : la Journée du Bonheur pour les avocats.

Estimez-vous que les choses progressent ?

Des progrès ont été faits mais il reste tant à faire !

La première avancée significative concerne le congé de maternité des femmes avocates qui est passé de 12 à 16 semaines (comme pour les salariées).

Une assurance perte de collaboration, facultative, a également été mise en place par le Barreau de Paris en début d’année 2012, laquelle est plébiscitée par les collaboratrices futures mamans.

D’autre part, une Charte de la Collaboration a été créée sous l’impulsion de Madame le Bâtonnier Christiane Féral-Schuhl, espèce de code des bonnes pratiques qui comporte notamment un volet « parentalité » extrêmement intéressant en ce qu’il formalise les règles et pratiques à respecter vis-à-vis du collaborateur nouveau parent, avant, pendant et après les congés de maternité et de paternité (charge de travail modérée, adaptation des temps et modes de travail, etc.). Cette charte finalisée en novembre a déjà été signée par 64 cabinets d’avocats.

Enfin, je constate que de plus en plus de femmes avocats gravissent les échelons, accèdent à des postes de responsabilités, intègrent nos instances représentatives et donc peuvent faire entendre leurs voix.

Que préconisez-vous pour favoriser une meilleure conciliation entre activité professionnelle et vie familiale et personnelle ? A titre personnel, êtes-vous satisfaite de votre conciliation ?

Certes, la charge de travail est importante dans nos métiers mais je me bats contre l’hypocrisie du présentéisme, ce temps de présence inutile. Peu importe où le travail est réalisé, du moment qu’il est effectué. D’ailleurs, je suis favorable au développement du télétravail dès lors qu’il ne fait pas obstacle à la prise d’un véritable congé maternité.

Des mesures simples peuvent être mises en place : pas de réunions trop tôt le matin ou trop tard le soir. Bien sûr, certaines spécialités s’y prêtent plus ou moins bien.

Je souhaite aussi vivement que la protection des jeunes mamans se poursuive pendant les trois mois qui suivent le retour de congé maternité, comme pour les salariées. Aujourd’hui, il arrive que des collaboratrices se voient notifier la rupture de leur contrat de collaboration le jour même de leur retour de congé maternité. Or, nous savons que quelques semaines d’adaptation sont nécessaires à la jeune maman pour trouver ses repères dans la nouvelle organisation imposée par son changement de statut.

Enfin, je pense que les femmes avocates doivent davantage oser. Oser demander une augmentation, oser fixer des limites à leurs patrons, oser prendre leur indépendance.

Personnellement, le smartphone est mon meilleur allié ! Je m’organise pour ne pas rentrer trop tard la semaine puisque, comme beaucoup de mamans, c’est moi qui récupère mes enfants le soir, et je travaille souvent les soirs et les week-ends.

Surtout, il faut essayer de se simplifier au maximum. Ma nounou prépare les déjeuners et goûters des enfants, leur donne le bain et pour le diner du soir, les purées sans sel de Picard sont une aide précieuse !

Bien sûr, lorsque l’on veut tout concilier, il y a des arbitrages et des compromis à effectuer. Je prends sur mon temps de sommeil et sur mon temps pour moi. J’essaye de ne pas trop pénaliser mes enfants. Mais tout ceci ne se fait pas sans culpabilité même si je suis convaincue qu’une femme épanouie dans son travail donne une meilleure maman.

■ Quelques chiffres utiles : 

– Au 1er janvier 2012, 56 176 avocats étaient recensés en France (39 454 dix ans plus tôt).

– La proportion de femmes atteint 52,7% en 2012, contre 46% il y a 10 ans.

– Le revenu moyen  des femmes s’élevait à 51 101 euros et celui des hommes à 100 740 euros, tous âges confondus. Depuis 1994, l’écart des revenus se creuse.

– Un tiers des femmes quittent la profession après 6 années d’exercice

– 71% des avocates ont été confrontées à des difficultés lors de leur grossesse (1 femme sur 5 a pris un congé maternité trop court)

– plus de 50% ne peuvent concilier vie professionnelle et vie de famille

Sources :

http://cnb.avocat.fr/docs/cahiers/AVOCATS_Evolutions-Tendances2011.pdf et http://ick.li/gYUqXE

 

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