A l'école Education nationale

Marie-Dominique, institutrice : « Faites nous confiance ! »



La question de l’éducation scolaire ne pouvait laisser insensible En aparté. C’est pour cette raison que j’ai souhaité interviewer
Marie-Dominique, 3 enfants, institutrice depuis 25 ans, sur son métier, son évolution, ses fiertés, ses frustations, etc. Un grand merci à elle pour sa franchise ! Et surtout n’hésitez pas à réagir… c’est cela qui permet de débattre 🙂

Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?
Marie-Dominique : J’ai choisi ce métier par vocation parce que j’ai toujours adoré les enfants. Je suis institutrice depuis 1983 et j’ai enseigné à peu près dans toutes les classes de maternelle et de primaire. J’ai commencé en Corse et, depuis 1995, j’enseigne dans le Var.

Selon vous, quelles sont les principales évolutions depuis que vous avez commencé à enseigner ?
Le métier d’instituteur a beaucoup changé depuis 25 ans… malheureusement essentiellement à cause des parents ! Lorsque j’ai débuté, les enseignants étaient très respectés. Les parents ne critiquaient pas la façon de faire des professeurs et si l’enfant était puni, nous étions soutenus par la famille. Mais de plus en plus, nous sommes entrés dans la période des enfants rois. Les parents ont tendance à mettre leurs enfants sur un piédestal. Dans 9 cas sur 10, les parents donnent raison à l’enfant, contre l’avis du professeur. Cela est handicapant dans le travail. Il y a un vrai manque de confiance. De plus, ce que l’on trouve dans la famille, on le retrouve démultiplié à l’école : un manque d’éducation, moins de politesse, moins de respect.
D’un autre côté, les parents sont mieux informés et plus au courant des programmes et pêchent parfois dans l’excès contraire… en se mêlant un peu trop de notre façon de travailler.

Concernant l’enseignement en lui-même, quelles évolutions vous semblent regrettables ?

La supression des cours le samedi matin a été réclamée à cor et à cri, mais je ne pense pas que cela soit une bonne chose. En tant que maman, j’apprécie de l’avoir, mais en tant qu’institutrice, c’est terrible de ne plus l’avoir. Car nous devons faire à peu près la même chose en moins de temps.
Cette demi-journée était très utile pour faire de la remédiation.
Autre regret : je pense que l’on s’est trop éparpillé. Certes, c’est une bonne chose de faire plus de sport, d’activités artistiques, de sorties… surtout pour les enfants qui ne font rien de tout cela en dehors de l’école, mais d’un autre côté, concernant les apprentissages fondamentaux, il y a plus de lacunes qu’autrefois. C’était peut-être excessif (par exemple, pour entrer en 6ème, il ne fallait pas faire plus de 5 fautes d’orthographe !) mais il faudrait trouver un juste équilibre.
Toutefois, je constate que depuis quelques années, on s’est un peu recentré. Par exemple, il y a eu plusieurs méthodes de lecture mais on s’est rendu compte au bout de 20 ans, que les résultats n’étaient pas vraiment là. On revient à des choses plus classiques.
Par ailleurs, je regrette que les devoirs écrits à la maison soient interdits1. Car comment évaluer que l’enfant a bien intégré les connaissances ?
Enfin, la supression des études dirigées le soir dans certaines écoles (remplacées, deux fois par semaine, par des cours de soutien pour les élèves en grande difficulté) me semble dommageable.
Elles étaient très utiles pour les enfants dont les parents travaillent et rentrent tard le soir.

Comment les élèves ont-ils évolué ?
Etant une institutrice assez sévère, je n’ai pas trop de problèmes de discipline. Mais je constate que de plus en plus, les élèves se lèvent en plein cours, prennent la parole sans la demander ou ont des écarts de langage… même les mieux élevés ! Pourtant, même les élèves les plus terribles ont besoin d’être cadrés.

Quelles sont vos plus grandes satisfactions ? Et insatisfactions ?
Lorsqu’un de mes élèves me demande de le garder l’année prochaine, cela me fait fondre ! Je suis très touchée de voir leur attachement malgré ma relative sévérité et mon exigence en terme de travail. Plus globalement, j’aime leur faire découvrir des choses et éveiller leur curiosité.
En revanche, plusieurs choses me frustrent ! La première est de ne pas pouvoir partir en classe verte alors que je pense que c’est très enrichissant. En dehors des questions de financement, il faut voir toutes les barrières que l’on nous met pour organiser ce genre de sorties. Il faut vraiment le vouloir ou avoir une dose d’inconscience pour se lancer !
La seconde insatisfaction vient du manque de temps pour faire tout le programme.
Et pour terminer, j’aimerais bien être davantage soutenue et reconnue non seulement par les parents mais également par nos supérieurs (ministres compris !) qui ont parfois des mots très durs envers les enseignants.

Quels conseils pourriez-vous donner aux parents pour qu’ils accompagnent au mieux leurs enfants dans leur scolarité ?
La première chose, je le répète, est de faire confiance aux instituteurs. C’est notre métier !
Ensuite, qu’ils n’hésitent pas à venir nous parler lorsqu’il y a un problème, une incompréhension, voire un désaccord (et ne pas directement écrire à l’inspecteur…).
Sinon, je pense qu’il est important que les parents, même s’ils travaillent tous les deux, regardent les cahiers de leurs enfants. C’est important de les suivre, de regarder et de vérifier leurs devoirs. Personnellement, je donne à mes élèves les devoirs à faire d’une semaine sur l’autre pour les habituer à travailler à l’avance mais également pour que les parents puissent suivre ce que font leurs enfants. Au niveau de l’autonomie, je pense qu’à partir du CE2, on peut dire à son enfant de travailler seul dans sa chambre, puis de vérifier ensuite qu’il a bien compris.
Plus généralement, je pense qu’il y a un vrai paradoxe : d’un côté, les parents sont plus au courant des programmes et des notions à acquérir, etc. mais de l’autre, ils se reposent beaucoup plus sur l’école. Il faudrait que tout se fasse à l’école. Mais ce sont des enfants, il est important qu’ils sentent soutenus par leurs parents.

Pour terminer, le métier d’institeur permet-il de bien concilier vie privée / vie professionnelle ?
Oui, tout à fait. Il offre une réelle qualité de vie et permet de concilier vie personnelle et vie professionnelle grâce aux horaires et aux vacances scolaires. Il n’y a que la rémunération qui ne soit pas extraordinaire… mais on ne peut sans doute pas tout avoir 🙂

1 une circulaire, promulguée le 29 décembre 1956 dit qu »« aucun devoir écrit, soit obligatoire, soit facultatif, ne sera demandé aux élèves hors de la classe. (ce texte s’applique à l’ensemble de l’école primaire). Cette circulaire est abrogée le 6 septembre 1994 lors de la mise en place des études dirigées mais une autre précise l’interdiction des devoirs à la maison en ces termes : « Dans ces conditions, les élèves n’ont pas de devoirs écrits en dehors du temps scolaire. À la sortie de l’école, le travail donné par les maîtres aux élèves se limite à un travail oral ou des leçons à apprendre ».

Deux blogs d’enseignants à découvrir (si vous en connaissez d’autres, n’hésitez pas à me les faire connaître !) :

■ Le blog d’une institutrice de CM2
■ Charly le prof (blog d’un prof en collège)

Edit du 4 juin : voici 2 blogs recommandés par des internautes :
■ Un tableau noir…au vert (les débuts d’une institutrice dans une classe à triple niveau à la campagne)
■ 
Prof à la dérive (la vie d’un jeune enseignant de collège en banlieue)

Edit du 9 juin : et hop, encore un, découvert aujourd’hui !
■ Le Fabuleux destin de Noisette (catégorie Sur les bancs de l’école)

8 thoughts on “Marie-Dominique, institutrice : « Faites nous confiance ! »

  1. Très intéressant, une fois de plus ! Mon fils n’étant qu’en moyenne section de maternelle, je n’ai pas vraiment de commentaire à faire, si ce n’est que je retiens ce besoin de confiance pour l’avenir, tout à fait compréhensible d’ailleurs !

      

  2. En tant que prof dans le secondaire je me retrouve bien dans cette interview. Je n’ai pas assez de recul pour voir si le niveau des élèves a tant changé mais pour ce qui est de « faire confiance » et de « respect »… J’ai encore en travers du gosier la phrase d’un petit merdeux de 3ème à qui j’avais mis 10/20 (il était brillant habituellement mais là il était hors-sujet pour la partie rédaction) ses parents m’avaient fait passer un mot sur ordonnance « Veuillez reconsidérer la note de notre fils. » Explications avec le fils « C’est pas de ma faute si vous êtes QUE prof alors que mon père est médecin »!!!! (Heu, j’ai bac +5 quand même, hein! Passe ton BEPC d’abord! Bon ça je ne le lui ai pas dit mais je l’ai pensé très fort!) Explications avec les parents, avec la directrice, avec l’inspectrice…J’ai eu gain de cause mais pffff quelle énergie gaspillée! Je me suis mise en congé parental qqs mois après…sans regret!
    Sinon tu peux aller jeter un oeil sur « Un tableau noir au vert »: les débuts d’une institutrice dans une classe à triple niveau en rase campagne: enrichissant comme expérience!
    Pardon d’avoir été aussi bavarde mais là pour une fois c’était pile poil mon domaine et je pouvais « faire ma sérieuse »!

      

  3. Merci à vous trois ! Et merci également pour les deux liens, je vais les rajouter.
    Concernant la question de la confiance, j’ai moi-même été surprise d’entendre Marie-Dominique évoquer un manque de confiance aussi important entre les enseignants et les parents…c’est vraiment regrettable pour tout le monde. Et je n’avais pas réalisé à quel point cela pouvait être handicapant au quotidien…
    @ crevette : ce genre d’anecdote est effectivement assez bluffant et désolant !

      

  4. Merci de ce témoignage intéressant. Nous avons tout à gagner à connaître ce que vivent les professionnels qui s’occupent de nos enfants!

      

  5. Merci Thècle ! Et visiblement ce sentiment de manque de confiance et de remise en cause n’est pas isolé. En effet, ce week-end j’ai discuté avec une autre institutrice et elle aussi regrettait vivement que les relations parents-enseignants se soient dégradées…

      

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