Portraits de femmes

Sylviane Lauro est à l’écoute des risques professionnels



En aparté avait déjà évoqué à deux reprises le blog de Sylviane Lauro consacré aux risques psycho-sociaux. Curieuse, j’ai souhaité en savoir plus sur elle et sur ses convictions…
Entretien avec une femme passionnée par les problématiques de santé et de souffrance au travail et animatrice d’un blog très documenté1.

Quel est votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a amené à devenir Intervenant en Prévention des Risques Professionnels (IPRP) ?

Sylviane Lauro : Après des études universitaires en psychologie (licence) et un BTS de secrétariat médico-social, j’ai intégré la fonction publique hospitalière en tant que secrétaire médicale. J’ai alors travaillé sur l’accréditation des hôpitaux et ai passé dans ce sens un diplôme universitaire d’assistant qualité en établissement de santé, puis un Master 2 Sciences Technologies et Santé option : ingénierie des systèmes de santé. Alors en recherche d’emploi dans le cadre de mes diplômes, je me suis intéressée à tous les métiers de la santé
recouvrant ce champ d’intervention. Le métier d’IPRP commençait à être émergent au sein de la réforme de la médecine du travail et de la mise en place de la pluridisciplinarité, alors que, dans le même temps les cas de harcèlement au travail augmentaient de manière inquiétante et exponentielle. J’ai donc effectué ma demande d’habilitation d’
IPRP que j’ai obtenu en 2008 pour les compétences techniques et organisationnelles.

 
Parmi les problématiques liées à la santé et aux risques psychosociaux, quelles sont celles qui vous interpellent le plus ?

S. L. : Les cas de harcèlement moral au travail bien entendu… Il s’agit d’un véritable fléau, une urgence en terme de santé publique au même titre que des maladies telles que le SIDA ou le cancer.
Des vies brisées, des familles décimées (cas de suicides)… Sans compter l’atteinte à l’intégrité (morale et parfois physique) des salariés, de leurs proches, de leurs enfants… Quelle image donnons-nous du travail aux générations qui nous suivent ? Les dégâts sur le long terme vont être incommensurables et la crise financière que nous traversons actuellement n’est rien à côté de ce qui nous attend si nous continuons à cautionner tout cela…

Quels sont les dossiers sur lesquels vous trouvez qu’il existe une réelle mobilisation et des efforts menés ? Et a contrario, ceux où vous estimez que la prise de conscience est trop lente (ou quasi-inexistante) ?

S. L. : Je pense que la prise de conscience est réelle : des cris d’alarme ont été lancés, relayés par les médias et pris en compte aujourd’hui par les pouvoirs publics. Je le disais plus haut : il s’agit d’un enjeu de santé publique, en terme de coût, en terme de non-productivité, de non-qualité, et surtout de non-humanisme…

Il existe des actions de plus en plus nombreuses mais trop isolées ou faisant figure de « vitrines », mais nous n’en sommes qu’aux balbutiements… et sommes aujourd’hui le plus souvent dans le curatif et non dans le préventif.

Certes il existe des enquêtes, des indicateurs etc. Toutefois, il y a des nouveaux cas de souffrance au travail tous les jours… Je pense que pour les personnes en souffrance, il n’existe que la réparation et la résilience. Dans ce type d’attitude, on repose tout sur la soi-disant faiblesse de l’individu, on l’accable ainsi un peu plus et pendant ce temps, on ne remet pas en cause les organisations
de travail qui favorisent ce type de conduite déviante… La prise de conscience est trop lente au niveau des collectifs de travail car nous sommes au cœur du délitement du lien social (contexte sociétal ?) : « si cela lui arrive à lui, je détourne le regard car cela ne m’arrive pas à moi »… Jusqu’au jour où… c’est à votre tour…

Avez-vous le sentiment que les hommes et les femmes sont égaux devant les risques psychosociaux ou non ?
S. L. : Dans les enquêtes que j’ai pu lire ces derniers temps, les femmes semblent le plus touchées (37% contre 24 % pour les hommes) surtout concernant la souffrance psychique, les violences physiques ou les humiliations ou menaces. Par contre, les hommes sont un peu plus nombreux que les femmes à soutenir qu’ils travaillent “d’une façon heurtant leur conscience professionnelle” et sont davantage consommateurs excessifs d’alcool (enquête publiée dans la revue « Santé et Travail » de Janvier 2009). Toutefois, je pense qu’il ne faut pas stigmatiser (cela peut arriver à n’importe lequel d’entre nous !) et mettre dans des cases (avec le fameux cliché de la « femme faible », donc « sexe faible » etc…)… Tous les cas sont loin d’être dépistés aujourd’hui notamment concernant les cas d’
addictologie liée au travail (workaholisme), à la cyberdépendance, à l’alcool (cause rattachée directement au travail, etc…)… Mais, je vous avoue ne pas être « spécialiste », je vous livre un constat… Je pense qu’il appartient aux spécialistes, par exemple en psychologie clinique, de répondre à cette question…

Pouvez-vous nous citer quelques-uns de vos livres de référence sur ces
sujets ?
 

S. L. : Il y en a beaucoup, dont
Hirigoyen bien entendu qui a été la première à mettre à jour les notions de perversité et de harcèlement moral notamment au travail, mais il y a quelques incontournables :

* « Prévenir le stress et les risques psychosociaux au travail » Benjamin Salher, éditions Réseau ANACT

* « Risques psychosociaux au travail : Vraies questions, bonnes réponses » Editions Liaisons Sociales

* « Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés »2 Journal de la consultation souffrance et travail 1997-2008… de Marie Pezé est encore le plus parlant de tous, la lecture de ce livre ne laisse pas indemne… Les situations qui y sont relatées dépassent parfois l’entendement, à tel point, que l’auteure en a été elle-même atteinte… Un ouvrage qui, comme celui d’Hirigoyen, fera date…
 

Si vous pouviez formuler un souhait en 2009 sur tous ces sujets, quel serait-il ?

S. L. : Au même titre que le cancer ou le SIDA, la souffrance au travail est aujourd’hui un mal que l’on ne sait pas éradiquer. Dans les deux premiers cas, nous avons l’espoir d’un vaccin… Dans le cas de la souffrance au travail, les choses sont beaucoup plus complexes… A défaut d’éradication, il faudrait que l’on puisse avancer ensemble en travaillant sur le collectif, en mettant les souffrances en mots (et non plus en maux !) dès les premiers signes et retrouver ensemble le pouvoir d’agir afin qu’il y ait de moins en moins de personnes en souffrance. Ce serait déjà une énorme avancée…

Pour terminer, pourriez-vous nous dire quelle expérience professionnelle vous a particulièrement marquée, enrichie ?

S. L. : J’ai eu un parcours très éclectique et très riche… Toute expérience professionnelle est enrichissante car on apprend toujours de quelqu’un ou de quelque chose… Je me considère d’ailleurs toujours en apprentissage… Celle qui reste la plus prégnante est le travail sur la qualité en établissement de santé… Travail sans cesse renouvelé, valorisant, enrichissant qui mobilise à la fois technicité et créativité au service des patients…

1. A noter que son blog  vient d’être certifié « site santé » par  la fondation Health On the Net en collaboration avec la Haute Autorité de Santé.

2. J’avais également écrit un billet sur ce livre.

10 thoughts on “Sylviane Lauro est à l’écoute des risques professionnels

  1. Merci à toutes deux pour cette ITW qui permet de mieux découvrir encore Sylviane dont le blog est effectivement une vraie mine d’information et de partage!

      

  2. @ Astrid et Véronique : merci pour vos commentaires ! Le blog de Sylviane est effectivement très dense et traite de problématiques qui méritent d’être partagées.

      

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