J’ai connu Sarah grâce à Twitter, puis nous nous sommes rencontrées IRL (in real live pour les non initiés !) il y a quelques semaines. Sarah dégage une sacrée énergie et une volonté impressionnante. Cela m’a donné envie de vous la présenter 🙂 Merci à elle pour cet échange !
Peux-tu nous présenter ton parcours ? Quelles ont été tes motivations pour devenir professeur de français ?
J’ai toujours aimé la littérature, et après un bac littéraire, j’ai suivi deux années de classes préparatoires. J’étais alors tiraillée par des envies différentes (faire du cinéma, du journalisme culturel, ou de l’enseignement) sans arriver à me focaliser sur un projet. Ces deux ans étaient pour moi le meilleur moyen de bénéficier d’une formation la plus généraliste possible.
Comme je souffre d’une maladie digestive, il m’est vite apparu que je n’arriverais pas à m’adapter au monde de l’entreprise car j’ai besoin de repos et de pouvoir travailler de chez moi. Passionnée à la fois par la littérature et par les adolescents, l’enseignement est peu à peu devenu le chemin le plus évident pour moi, et je ne le regrette pas.
J’ai donc poursuivi en fac, passé le CAFEP et suis devenue prof en lycée privé, à l’âge de 23 ans. Très consciente de mes limites et de la nécessité, pour moi, d’enseigner dans un cadre relativement calme et tenu, j’ai souhaité enseigner dans le privé. Ce choix m’a permis d’enseigner immédiatement en lycée, et surtout de pouvoir rester dans l’établissement où j’enseigne toujours aujourd’hui.
Qu’est-ce qui t’apporte le plus de satisfactions dans ce métier et ce qui est le plus pesant ?
Mon métier m’apporte de très nombreuses satisfactions, notamment personnelles. Les lycéens sont extrêmement attachants et vous donnent énormément. C’est un métier qui n’est pas aussi répétitif qu’on peut le croire et chaque heure de cours peut être traversée par un imprévu, un moment drôle, émouvant, surprenant…On ne s’ennuie jamais ! Il faut aussi dire qu’étant dans le privé, j’exerce dans des conditions tout à fait confortables.
Au risque de verser dans les clichés, le plus pesant est pour moi à la fois notre salaire, qui est vraiment mince au regard de nos responsabilités et de notre formation, et l’image dont nous bénéficions. Je rappelle qu’un enseignant à temps plein travaille facilement 40h par semaine, et que nos vacances sont également bien chargées ! Je mets enfin au défi n’importe quelle personne du monde de l’entreprise de passer deux heures dans une salle de cours avec 38 adolescents. Elle en ressortira vidée !
Que penses-tu de l’enseignement du français à l’école et au collège/lycée ? Estimes-tu que cela soit satisfaisant ? Quelle est ta marge de manœuvre en tant que professeur par rapport aux programmes officiels ?
En tant que professeur en lycée, je m’estime très privilégiée. Nos programmes sont définis par de grands thèmes (« le roman », « le théâtre », etc.) à l’intérieur desquels nous pouvons librement naviguer et choisir nos œuvres. Ainsi, chacun de mes collègues de lettres a un programme différent, et nous sommes pourtant tous en conformité avec les programmes scolaires. J’ai donc une très grande marge de manœuvre et c’est très satisfaisant pour moi. Je ne peux pas en dire autant pour mes collègues de collège.
En revanche, je trouve que l’enseignement du français est bien trop compliqué. Les programmes exigent énormément de connaissances, de termes techniques, mais n’insistent qu’encore trop peu sur la grammaire et l’orthographe. Je suis consternée de voir chaque année arriver en classe de seconde des élèves qui ne savent pas écrire français. Comme je passe énormément de temps sur la grammaire et l’orthographe, et qu’ils doivent aussi accumuler tout un tas de connaissances dont ils ne peuvent, bien souvent, pas saisir l’intérêt….les programmes sont lourds.
C’est un peu comme l’enseignement du latin et du grec. Pour moi, l’enseignement de ces langues mortes est pertinent quand on a un vrai recul sur la langue française et la littérature. On ferait mieux de renforcer les heures de cours en anglais, qui est une langue sacrément difficile à maîtriser !
Tu as lancé avec ta mère plusieurs applications littéraires. Peux-tu nous raconter cette “aventure” et ce qu’elle t’apporte ?
Tout d’abord, ce projet a été rendu possible car j’ai été dans l’obligation de passer à temps partiel, le plein temps devenant incompatible avec ma santé. Soucieuse de mon avenir professionnel, et d’une future reconversion, j’ai donc réfléchi à de nouveaux projets qui me permettraient de travailler de chez moi.
Passionnée de numérique et réalisant qu’il était de plus en plus difficile de faire lire les élèves, j’ai réfléchi à un nouveau support, et à une nouvelle façon de présenter les classiques, et ai eu l’idée d’une application mobile de littérature.
Ma mère étant elle-même développeuse d’applications, nous avons associé nos compétences et sorti notre première application, Un texte Un jour, le 25 octobre 2012, après six mois de travail respectifs. Elle s’occupe de la partie technique et moi du contenu et de la communication. Nous avions, quand nous nous sommes lancées, pas mesuré l’aventure et le travail qui nous attendait (c’est extrêmement chronophage) mais nous nous sommes accrochées et avons même sorti depuis deux autres applications, Un Poème Un Jour et A text A day, à laquelle un professeur d’anglais a contribué.
Cette aventure m’apporte énormément : rencontres, acquisition de nouvelles compétences, nouveau regard sur la littérature et mon métier de professeur. Même s’il est difficile de tout concilier certains jours, je suis ravie de cette épopée !
Lis-tu beaucoup de littérature contemporaine ou surtout classique ? Peux-tu nous dire quels sont tes derniers coups de cœur et tes œuvres classiques préférées ?
Ayant lu beaucoup de littérature classique étant étudiante, je lis aujourd’hui surtout des œuvres contemporaines et m’oblige à lire en intégralité deux grands classiques, deux « pavés » par an. Néanmoins, j’ai dû me remettre à la littérature classique pour ces applications et ai ralenti mon rythme de lecture.
Parmi mes derniers coups de cœur : Loving Frank de Nancy Horan, Tours et détours de la vilaine fille de Mario Vargas Llosa.
Parmi mes œuvres classiques préférées : Belle du Seigneur d’Albert Cohen, A la recherche du temps perdu de Proust (extraordinaire), Rebecca de Daphné du Maurier, Jane Eyre de Charlotte Brontë.
Tu es très présente sur Twitter. Comment utilises-tu cet outil ? Que t’apporte-t-il ?
Je me suis lancée sur Twitter le 26 décembre 2012, pour faire la promotion de mes applications. J’utilise cet outil de manière essentiellement professionnelle : revue de presse, textes du jour sur mes applis, événements culturels, coups de cœur pour un film ou un livre…Il m’arrive bien évidemment de donner mon avis mais c’est un compte qui reste relativement neutre et anonyme.
Que m’apporte Twitter ? Tout d’abord cet outil me passionne ! Il me rend plus alerte, plus informée, plus cultivée. Il m’a permis de faire connaître mes applications mieux que n’importe quel outil de communication, et m’a enfin permis de rencontrer pléthore de personnes passionnantes.
Tu t’investis beaucoup dans ton travail et le développement de tes applis. Es-tu satisfaite de la façon dont tu concilies tes engagements pros et persos ? As-tu d’autres passions/engagements ?
J’ai la chance d’être très organisée, d’être aussi un bourreau de travail et de ne pas avoir d’enfants ! De ce fait, j’arrive à concilier mes deux activités, non pas sans certains sacrifices quelques fois….Je n’ai pas d’autres passions ou engagements, la littérature et la culture, le fait d’apprendre, constituant mes passions premières.
De façon plus personnelle, j’ai la chance d’avoir un compagnon passionné par ses propres projets. Nous sommes donc relativement indépendants et soucieux de respecter et soutenir nos propres activités. Je suis tout à fait consciente que ce mode de vie ne convient pas à tout le monde ! 😉
Comment te projettes-tu d’ici un an ou deux ? As-tu des projets, des envies ?
Même si nos applications iPhone/Android rencontrent un succès certain, il nous est pour l’instant absolument impossible d’en vivre, peut-être parce que le numérique en est encore à ses débuts. Les réticences des éditeurs envers le numérique est d’ailleurs un vrai problème.
Il m’est donc difficile de me projeter pour l’instant, mais il est évident que sur le long terme, j’aimerais pouvoir m’investir à plein temps dans ces projets et dans le monde des applications culturelles.
Même si j’aime profondément mes élèves, toute cette aventure m’aura donné le goût du digital !
NDRL : toutes les applications développées par Sarah et sa mère sont disponibles sur Appstore (par exemple ici pour Untexteunjour)
Sarah,
Je suis touchée par votre témoignage, y reconnais le grand écart entre la réalité de ce que l’on peut vivre en enseignant et celle de l’imaginaire collectif…
J’y lis également une belle transition du métier d’enseignant vers un autre, élaborée par une équipe de femmes ;-).
Enfin, merci à Gaelle de ces partages, toujours enrichissants.Agnès
Super témoignage (et j’ai adoré aussi Loving Frank, sans parler de Belle du Seigneur!)
Merci à toutes les 2 pour cet article
Selma