Autour du travail

Travail/enfants : des temporalités différentes

Au-delà des difficultés réelles pour mener à bien conciliation travail / enfants en terme d’horaires et d’agenda, il y a une autre difficulté dont on parle moins mais qui me semble toute aussi importante. Il s’agit de très grandes différences de temporalités entre la vie professionnelle et la vie familiale. Je m’explique :

la vie professionnelle réclame de l’efficacité, de la rapidité, de la réactivité, de la mobilité, de l’agileté, de la productivité en un mot. On est dans l’immédiateté, l’impatience, la vitesse d’exécution. Il s’agit de réduire au maximum les temps morts, de ne pas perdre de temps.

la vie familiale réclame quant à elle une certaine lenteur et une certaine stabilité, voire de la routine. Les enfants n’aiment pas particulièrement être bousculés. Il ne s’agit pas ici de productivité ou de rentabilité à court terme, de mobilité incessante mais plutôt d’un projet au long cours, sur la durée, avec des répétitions, des repères, des habitudes, des actes gratuits. Il faut prendre le temps d’expliquer, d’apprendre, de faire découvrir. Il faut accepter de perdre du temps parfois, de ne pas vouloir à tout prix remplir toutes les cases temporelles ou chercher à les « rentabiliser »…

Passer de l’une à l’autre, de cette temporalité basée essentiellement sur la vitesse et le court terme à une temporalité basée davantage sur la lenteur, la durée et la patience demande beaucoup d’énergie, d’efforts et d’adaptation.

On ne peut pas gérer sa vie familiale comme sa vie professionnelle avec le même tempo. ll faut savoir ralentir, changer de rythme… Car si on exige autant de rapidité, de réactivité, on risque fort de se planter !

Et lorsque l’on court de l’un (vie professionnelle) à l’autre (vie familiale), les bugs peuvent être fréquents…d’où des sentiments possibles de frustration, d’impatience, voire de culpabilité.

Un peu comme si la vie professionnelle, c’était monter dans un TGV (il s’agit d’aller viter, d’atteindre l’objectif le plus rapidement possible) alors que la vie familiale ressemble davantage à un voyage en TER, avec des arrêts fréquents, des pannes, des pauses, du temps pour flâner, pour observer, voire pour s’ennuyer… Bref, pas facile de concilier ces temporalités parfois si différentes, de ne pas imposer dans la vie familiale les exigences de la vie professionnelle, d’accepter que les retours sur investissement avec les enfants sont rarement immédiats et difficilement mesurables, qu’une certaine routine et lenteur (deux éléments peu valorisés dans la sphère professionnelle) peuvent être bénéfiques dans la sphère familiale.

Qu’en pensez-vous de tout cela ?

Aller plus loin 

 Le temps des enfants, 2007, Université de Liège

Rediffusion d’un billet publié en décembre 2009

17 thoughts on “Travail/enfants : des temporalités différentes

  1. Je n’ai pas le plaisir d’avoir des enfants mais pour l’expérience que je peux avoir avec mes neveux, je trouve que journée de travail et à la maison ont des rythmes assez similaires justement. On
    parle d’ailleurs souvent de « doubles journées de travail ». Evidemment c’est un plaisir d’être avec les enfants mais je dirai que cela demande une certaine organisation, un « timing » même, tout comme
    le travail, et que souvent la sensation de repos ou « lenteur » n’arrive qu’après leur coucher… Enfin c’est le sentiment que j’ai avec ma faible expérience en tous cas !

      

  2. @ Priscilla : qu’il y ait double journée, cela est une chose sûre et certaine. Que le rythme soit dense dans un cas comme dans l’autre, on est également tout à
    fait d’accord . En revanche, si on « plaque » sur la vie familiale la temporalité de la vie professionnelle, on n’a pas tout
    juste, selon moi ! En effet, l’éducation est une affaire de lenteur, de répétition, certainement pas de rentabilité à court terme. Alors que dans la vie professionnelle, mieux vaut être
    rapide, peu routinier, comprendre vite et avoir en tête des objectifs précis à atteindre et une productivité. Un exemple : si on croit que parce que l’on a expliqué une fois à son enfant quelque
    chose pour estimer que c’est compris ou acquis, on a de grandes chances d’avoir de (mauvaises !) surprises.
    Mais bien évidemment, je suis très curieuse de recueillir les avis et les ressentis des uns et des autres…

      

  3. En effet, il faut changer de rythme, même si ce n’est pas facile.  Pour certains enfants, ça peut fonctionner de garder le même, mais pour d’autres, ça peut les écraser et laisser des
    séquelles.  En fait, je propose de prendre une pause entre les 2, ne serait-ce que de 10 minutes.  Cela va nécessairement avoir un impact, aussi léger soit-il.

      

  4. @ Gestionnaire : merci beaucoup ! je suis allée réagir directement chez vous !

    @ Matthieu : je suis tout à fait d’accord avec l’importance de s’octroyer un sas de décompression…

      

  5. Il est clair que si l’ont essaye de mettre des objectifs sur ses enfants, on est surs de se planter… c’est pourquoi il est si difficile de ne pas s’énerver le soir je trouve : avance, enlève tes
    chaussures, va au bain,mange ta soupe, va au lit, lave toi les dents, tout ça on voudrait que ce soit ficelé dans les temps impartis, or les enfants ne sont pas des salariés à qui on impose des
    taches… et ils ont besoin d’avoir leur propre ryhtme!
    Du coup on peut avoir l’impression de faire du sur place dans sa vie familiale quand la vie pro eest en période d’accélération… c’est difficile de ne pas s’impatienter à la maison, bcp plus en
    tous cas que de laisser une certaine lenteur s’introduire dans la vie pro!!

      

  6. « d’accepter que les retours sur investissement avec les enfants sont rarement immédiats et difficilement mesurables »

    C’est quoi le retour sur investissement en ce qui concerne les enfants ??? Au contraire je trouve que la vie avec les enfants c’est plein de petits et grands moments de bonheur immédiats, je
    n’imagine pas d’autre retour…

    Je ressens les choses de façon complètement différente, sans doute parce que je me sens mal dans mon boulot et que je m’investis plus à la maison… Par exemple  le boulot c’est
    plein de trucs programmés très longtemps à l’avance, alors que pour les enfants tout change d’un jour à l’autre (maladie, école en grève, invitations…) et d’une année sur l’autre (école,
    activités, nouveaux copains), ce qui peut rendre effectivement la coordination difficile.
    Au boulot je trouve que les gens prennent parfois bien leur temps : pauses cafés, repas, réunions interminables, alors qu’à la maison j’essaye d’être le plus efficace possible et tout va très
    vite…

      

  7. @ Nathalie : merci tout d’abord d’avoir donné ton point de vue ! je vais essayer de te répondre sur ls différents points que tu abordes :

    – quand je dis que les retours sur investissement avec les enfants sont rarement immédiats et difficilement mesurables, je veux dire par là que l’éducation de manière générale se fait sur des
    années et des années et qu’il est difficile sur le moment de savoir si ce que l’on donne, ce que l’on fait, est bien. Alors que dans le travail, les résultats sont généralement plus rapides. Par
    exemple, soit le client est satisfait, soit non ! Soit on atteint les objectifs dans les délais impartis, avec le budget alloué, soit ce n’est pas le cas…La vie professionnelle se base
    essentiellement sur des objectifs chiffrés, des ratios, des coûts, des investissements. Très souvent, le court et le moyen terme sont les lignes d’horizon (bien évidemment, je n’oublie pas la
    stratégie sur le long terme, les investissements sur des années, etc.). Je ne sais pas si je suis très claire !

    En gros, il faut accepter dans la vie familiale de faire plein de petites choses, de petits gestes, qui, même si on n’en voit pas forcément les « résultats » tout de suite, devraient être
    « récompensés » sur long terme. (enfin, si tout se passe bien…)

    Bien évidemment, comme tu le soulignes à juste titre, la vie avec des enfants, ce sont également plein de petits et grands bonheurs immédiats. Avec souvent des événements inattendus
    et imprévus, des changements, des évolutions. C’est le quotidien pas toujours facile à gérer ! Mais je distingue le quotidien familial, qui peut être tout aussi rapide, changeant, mobile que
    la vie professionnelle et l’éducation au long cours, l’accompagnement sur le long terme, ce que l’on fait sans savoir si cela sera compris, intégré, assimilé, accepté.

    Dans la vie familiale, il faut savoir donner, prendre du temps, répéter, refaire, sans avoir aucune certitude, sans savoir si l’on se trompe ou si l’on fait les choses correctement.

    J’ai déjà été bien longue, je vais m’arrêter là

      

  8. Analyse très intéressante et pertinente ! Je vais aussi en faire profiter mon mari : nous avons effectivement tendance, à la maison, à demander à notre petit bonhomme d’être « efficace », même si
    nous ne le formulons pas comme ça. Etre prêt à l’heure pour aller à l’école, être couché à l’heure, etc…. C’est tout à fait normal d’ailleurs, mais on ne peut pas lui demander comme on le
    demanderait à des collègues : en optimisant son temps, en étant ultra-fiable, etc… Il faut bien s’en souvenir…

      

  9. Je trouve qu’il y a en fait beaucoup de  retours immédiats dans la vie avec les enfants. Tu sens très bien si ton enfant est plutôt content d’aller à l’école, s’il est enthousiaste, bien dans
    sa peau. De même s’il y a problème il y a très vite signaux d’alerte… Pour le moment mes enfants sont encore petits, mais j’ai du mal à concevoir un objectif à long terme en matière d’éducation.
    Est ce que par exemple mes parents devraient me considérer comme un ratage ou une réussite ?

    D’autre part il y a pas mal de boulots sans objectifs commerciaux où il n’y a pas de critères chiffrés clairement appréciables, enseignant par exemple…

      

  10. @ Anne-So : merci pour ton commentaire. Effectivement, avec des enfants, chercher à optimiser le temps, croire que telle action va forcément aboutir à tel
    résultat …donne rarement les résultats escomptés !

    @ Nathalie : pourtant, je suis sûre que tu envisages bien l’éducation de tes enfants sur du long terme, non ? puisque l’accompagnement  en tant que parent se fait sur des années.
    Un petit exemple : comment savoir si toutes les histoires lues le soir lorsqu’il est jeune et ne sait pas encore lire auront un impact ou non sur son goût pour la lecture ? difficile de savoir à
    l’avance quelles seront les conséquences ultérieures de toutes ces petites habitudes, non ?  L’éducation, c’est du temps, des attitudes, mais difficile de savoir à l’avance ce que l’enfant en
    retiendra, si elle convient à sa personnalité, son attitude. Dans la vie professionnelle, on attend des résultats rapides, de la rationalité, de l’efficacité. 

    PS / Mon article s’adressait davantage à la vie professionnelle en entreprise. Il est clair que certains métiers ne sont pas basés sur des objectifs précis. Même si  les enseignants ont quand
    même des programmes à boucler en un temps donné !)…

      

  11. Je retrouve tout à fait mon rythme familial dans la comparaison avec le TER 🙂 C’est vrai que les enfants n’aiment pas être bousculés, et c’est difficile de devoir les réveiller et les presser le matin. Et les presser le soir aussi (pour éviter de les coucher à 22h).

      

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