Bienvenue dans la vraie vie d’un patron de PME. Tel est le sous-titre éloquent de “Chronique d’un salaud de patron” (éditions Les Cavaliers de l’Orage, 150 pages, 15 euros) écrit par Julien Leclercq, 30 ans, patron de Com’Presse, une PME de 48 salariés dans le Lot et Garonne. J’ai lu ce livre avec intérêt et plaisir car le style est vivant, parfois sérieux, parfois léger, et souvent drôle.
Julien Leclercq y raconte son quotidien de patron à travers une semaine-type. C’est l’occasion pour lui d’aborder différentes sujets sous forme d’exemples, d’anecdotes, en pointant du doigt les dysfonctionnements, voire les absurdités : le recrutement, les banques, l’inspection du travail, les contrôles URSSAF, la médecine du travail, etc.
Mais au-delà de son quotidien, c’est l’occasion pour ce jeune chef d’entreprise, de faire passer quelques messages simples mais forts autour de la direction d’une entreprise et surtout un espoir : celui de réconcilier salariés et patrons. La lutte des classes, c’est fini. L’image du patron qui a un salaire mirobolant, roule dans une voiture de luxe et croule sous les stocks options, est le plus souvent très éloignée de la réalité. Bref, un discours de bon sens, qui sonne juste et authentique. J’ai souhaité interviewer Julien Lerclercq pour en savoir un peu plus et l’entendre défendre ses propos ! Merci à lui et j’espère que les messages de son livre seront largement partagés…
Pourquoi ce livre ?
Je suis conscient que mon discours n’est pas forcément neuf. Mais si l’on entend souvent des patrons se plaindre, il s’agit le plus souvent de patrons de grandes entreprises. J’avais envie de faire entendre la voix d’un patron de PME, et de traiter de sujets sérieux de façon un peu différente : avec légèreté, humour et même, optimisme ! J’espère qu’un certain nombre d’entre eux se reconnaîtront dans mon récit.
Au départ, je voulais montrer comment nous avions réussi à sauver notre entreprise qui était au bord du dépôt de bilan il y a un peu plus de quatre ans et puis, ayant pris la direction de Com’Presse il y a 2 ans et demi, j’ai eu envie de raconter mon quotidien et de présenter les valeurs auxquelles je crois et que j’essaye d’appliquer dans mon entreprise.
A travers des anecdotes, vous révélez un certain nombre de dysfonctionnements dans différents domaines : les banques, les aides et dispositifs en faveur des entreprises, l’URSSAF, le recrutement, la médecine du travail, les appels d’offre publics obligatoires mais joués d’avance, etc.
J’ai voulu montrer par l’exemple ce qui ne marchait pas vraiment. Concernant le recrutement des jeunes, mais cela est également vrai pour les moins jeunes, le fait est que 80 à 90% des candidats que nous recevons n’ont pas préparé l’entretien, sans compter les fautes d’orthographe dans leur lettre de motivation. Je comprends très bien que l’on puisse être stressé, sous pression lors d’un entretien d’embauche, mais il ne s’agit pas que de cela. Pourtant, il n’est pas très compliqué de se renseigner sur notre entreprise, en consultant notre site par exemple, de faire relire sa lettre avant de l’envoyer ou encore d’éviter d’indiquer « Madame » alors que le mail indique Julien@….Cela me semble quand même le minimum ! De façon plus générale, j’estime que les jeunes sont insuffisamment préparés à la réalité du monde de l’entreprise et à ses exigences.
Concernant la médecine du travail, je remarque effectivement que le coût des visites est exorbitant (entre 120 et 160 euros par visite) et que surtout personne n’en est satisfait (ni les médecins, ni les salariés, ni les chefs d’entreprise). Les entreprises ont de nombreuses obligations dans ce domaine mais sans être suffisamment informées et sans vraiment comprendre pourquoi on leur demande de telles sommes. Et la seule fois où l’un de nos salariés a eu de vrais soucis de santé, nous nous sommes sentis bien seuls. Quant au contrôles effectués par l’URSSAF, on se rend compte que leurs calculs de redressement sont rarement bons. On perd alors du temps et de l’énergie à les contester, souvent avec succès. C’est une aberration et du temps perdu pour tout le monde.
Sur les rapports avec le secteur bancaire, j’ai également voulu montrer à travers notre exemple que certains banquiers se comportent mal. Alors que nous traversions des difficultés très importantes de trésorerie en raison de la crise fin 2008, notre banquier nous assure qu’il nous soutient en rendez-vous alors que la veille était parti un recommandé pour nous dire qu’elle ne nous suivait plus et qu’elle annulait notre autorisation de découvert ! Heureusement, nous avons trouvé depuis une autre banque, beaucoup courageuse et humaine et qui a fait des efforts pour nous aider à surmonter notre mauvaise passe. Un conseil : lorsque tout va bien, ne pas hésiter à rencontrer plusieurs banques et à mettre ses billes dans différents établissements car quand ça va mal, il est beaucoup plus difficile de tomber sur une oreille attentive !
A travers ce livre, vous souhaitez réconcilier patrons et salariés. Concrètement, cela passe par quoi ?
Cela veut dire partager à la fois les efforts en cas de coup dur et les richesses créées par l’entreprise. Ainsi, alors que la situation de l’entreprise était au plus mal début 2009, nos salariés ont accepté de baisser leurs salaires de 15% pour sauver la boîte (idem pour ses dirigeants bien sûr). Et quand tout va bien, il faut savoir partager les bénéfices. Pour cela, il faut que salariés et patrons aient envie de travailler ensemble, main dans la main et non pas les uns contre les autres. Arrêtons d’opposer les profits des entreprises et le bien-être des salariés. Il faut réhabiliter la fonction de patron (même si une minorité d’entre eux, par leurs comportements, font beaucoup de tort à l’image du dirigeant), en montrant que le bien-être de leurs salariés est au cœur de leurs préoccupations au quotidien et en incitant les médias à raconter de belles histoires (et il en existe !). Cela signifie pour un patron de savoir être humain et à l’écoute. Quand, par exemple, un salarié travaille moins bien, il ne s’agit pas de le blâmer, et de l’enfoncer encore plus mais de chercher à comprendre pourquoi (cela provient-il de raisons professionnelles ou personnelles ?) et de voir ce que l’on peut faire pour arranger les choses.
Cela signifie également de savoir être souple dans sa façon de manager. Par exemple, savoir accorder le droit de partir plus tôt tant que le travail est fait, accepter que le salarié vienne avec son enfant au travail si l’école est en grève, réunir régulièrement l’équipe autour d’un barbecue (nous avons la chance de travailler dans une maison, avec un jardin). Mon principe de base du management est le suivant : un salarié heureux est un salarié qui travaille mieux. Je suis convaincu que ceci n’est pas une utopie, ni une lubie de Bisounours !
J’ai eu la chance de reprendre la direction d’une entreprise qui avait déjà des valeurs fortes et humanistes (NDRL : créée par sa mère, Marie de la Forest, en 1999 ), que je m’efforce de conserver et qui créent une identité forte. Nous faisons tout pour respecter nos salariés et ils nous le rendent bien.
Comment luttez-vous contre l’isolement, voire l’adversité, que connaissent beaucoup de chefs d’entreprise ?
En externe, il faut bien être conscient que nous bénéficions de très peu d’aides ou de soutien. Et celles qui existent sont très compliqués à trouver… Les meilleurs soutiens sont à trouver en interne. Cela signifie de pouvoir s’appuyer sur des gens de qualité et compétents, d’apprendre à déléguer, à faire monter en compétences ses salariés mais aussi de savoir trouver ses limites en tant que patron. Un mauvais climat en interne ne peut qu’accentuer le sentiment de solitude du chef d’entreprise.
Par ailleurs, je fais également partie du CJD (Centre des Jeunes Dirigeants) depuis un an où règne une vraie solidarité. Mais faire partie d’un réseau prend du temps. Or 90% des chefs d’entreprise se plaignent d’en manquer déjà cruellement…
En terme de conciliation vie privée / vie pro, cela n’a pas l’air très facile (beaucoup de déplacements, journées qui se finissent très tardivement…)
Etre chef d’entreprise implique effectivement beaucoup de sacrifices. Lorsque j’ai pris la direction de l’entreprise, les 7-8 premiers mois, j’ai travaillé 7 jours sur 7 mais je me suis rendu compte que je n’allais pas pouvoir tenir indéfiniment ce rythme. Or un chef d’entreprise a le devoir d’être tout le temps à la hauteur. J’ai décidé de ré-aménager mon temps de travail, en réservant certains moments de la semaine à ma vie familiale.
Etre installé dans une région rurale, est-ce plutôt une force ou une faiblesse ?
Il y a 4-5 ans, je vous aurais répondu que cela était plutôt un frein car le milieu des médias dans lequel nous exerçons restait très parisien, avec une grande importance accordée à l’image et à la représentation, sans oublier des difficultés à recruter. Mais depuis la crise, cela constitue plutôt un atout. Déjà, il est devenu plus facile de recruter car avec la crise, l’envie de quitter Paris touche tous les âges. D’autre part, cela nous permet de travailler dans un environnement privilégié en terme de qualité de vie. Nous nous efforçons au quotidien de faire vivre notre promesse « Gagner moins, peut-être, mais vivre mieux »
Et comme Julien Leclercq n’évolue pas dans le milieu des médias pour rien, vous pouvez le retrouver sur Twitter, sur son blog ou encore sur la page FB de son livre !
Vos questions, réactions, commentaires sont les bienvenus !
Merci pour ce témoignage… » Patronne » de PME sur l’agenais depuis 16 ans , j’aurai pu moi même écrire ce livre. C’est vraiment notre quotidien, à la fois passionnant, parfois jubilatoire… mais également éreintant, stressant…
Il faut vraiment y croire, se battre au quotidien. Certains jours je doute, j’ai envie d’une vie « pépère » salariée 35h, mais le lendemain de nouveau je suis pleine d’entrain et de projets. N’est-ce pas cela le plus important? avec une certaine fierté de créer des emplois dans ma région.
Au plaisir de se rencontrer. Très cordialement
Armelle
LLANOS Armelle