Portraits de femmes

Itinéraire d’une reconversion professionnelle

J’ai découvert avec plaisir il y a quelques mois le blog de Lisa, Le point sur le i. J’aime bien la sensibilité qui ressort de ces billets, j’ai également suivi de près sa reconversion professionnelle. J’ai eu envie d’en savoir plus sur ce cheminement. Je trouve toujours cela courageux de changer de métier, de se remettre en cause, de devoir refaire ses preuves dans un nouveau métier. Merci à elle d’avoir accepté de témoigner pour En aparté !

 

Vous avez été pendant plusieurs années professeur de français. Pourquoi aviez-vous choisi ce métier ? Que garderez-vous de cette expérience ?

J’ai été professeur de français pendant 12 ans. J’ai eu mon concours assez jeune, à 22 ans, et j’ai commencé immédiatement car je venais d’un milieu modeste et je devais m’autofinancer. J’ai choisi ce métier tout simplement parce que je faisais des études de lettres que j’adorais (et dans lesquelles je réussissais bien) et que cela me semblait une suite logique. Malgré cela, j’aurais préféré faire des études dans l’édition ou le journalisme, mais je n’en avais pas les moyens financiers. J’ai donc commencé à enseigner, sans avoir la « vocation », jamais je n’aurais pensé être professeur ! Je garde de cette expérience des sentiments mitigés : très positifs vis-à-vis de ma relation aux élèves (souvent très bonne et riche), beaucoup continuent à m’écrire aujourd’hui. J’ai aimé transmettre mon goût pour la langue, la lecture et l’écriture. En revanche, j’ai vite été un peu dégoûtée par le système, les copies qui s’amoncellent, le poids des corvées administratives pour lesquelles nous sommes rétribués une vraie misère.

Qu’est-ce qui vous a décidé un jour à changer de métier ? Quels sont les éléments déclencheurs ? De combien de temps avez-vous eu besoin pour enclencher le processus de changement ?

Un matin, il y a deux ans, je n’ai pas réussi à me lever pour aller travailler. Je n’étais plus capable physiquement de faire cours. Mon médecin m’a donné une semaine pour faire le point et m’a dit que je tombais en dépression. Sur le coup, j’ai mis cela sur le compte de mon travail qui ne me satisfaisait pas (aujourd’hui, je reconsidère cet aspect et pense que ma dépression était plus liée à ma vie personnelle) : cela a eu le mérite de me faire m’interroger sur mes buts professionnels. En trois mois, j’ai monté un dossier pour rechercher une mobilité de carrière. Il faut savoir que dans la fonction publique enseignante, ce n’est pas simple de changer. J’ai rencontré la personne en charge de la reconversion au rectorat, mais elle ne m’a pas vraiment aidée. J’ai pensé passer un concours et puis j’ai entendu parler d’un dispositif me permettant de devenir professeur-documentaliste par une voie parallèle. J’ai postulé, passé deux entretiens (ce dont je n’avais plus du tout l’habitude) et ma candidature a été retenue en juin, pour commencer la reconversion en septembre.

 

Comment s’est passée concrètement cette reconversion ? Quels sont les éléments qui l’ont facilitée et ceux qui l’ont rendu plus difficile ?

Ma reconversion s’est déroulée sur une année. J’étais à mi-temps stagiaire dans un CDI de lycée et l’autre moitié du temps en formation. J’ai eu à valider différents points : la formation était évaluée en contrôle continu par des devoirs fréquents et assez lourds, j’ai soutenu un mémoire en juin et été inspectée sur mon lieu de stage. J’ai obtenu ma titularisation dans le corps des professeurs documentalistes début juillet. J’ai été aidée toute l’année par ma collègue du CDI qui était ma tutrice et aussi par plusieurs de mes formateurs. Le plus dur a été le fait de devoir abandonner mon concours de lettres pour obtenir celui de documentation. C’était un choix assez douloureux à faire, car je savais qu’il serait sans retour.

Si vous aviez quelques conseils à donner à une personne qui s’interroge sur le bien fondé ou non de se lancer dans une reconversion, quels conseils auriez-vous envie de lui donner ? Sur quels points pensez-vous n’avoir pas été forcément suffisamment préparée ?

Je crois qu’il faut écouter ses envies, ses souffrances aussi. Parfois le corps dit stop, parfois on sent qu’on « craque ». Parfois c’est juste une mauvaise orientation au départ. Il n’est jamais trop tard. Rien ne dit qu’une vie doit correspondre à un seul métier. Je n’ai pas de conseils si ce n’est de penser à soi, d’être un peu « égoïste » de temps en temps. C’est nécessaire pour savoir ce qui nous convient vraiment.

 

Quelles ont été les réactions de votre entourage  lorsque vous leur avez fait part de votre volonté de changement ?

Les réactions ont globalement été positives, sachant que je changeais de « branche » mais pas vraiment de cadre, car je restais dans l’Education nationale.

 

Depuis quelques mois, vous exercez votre nouveau métier. Pouvez-vous nous en parler un peu ? Quelles sont vos premières impressions ? Les points les plus positifs et…les autres ?

J’exerce mon métier depuis un an et demi. La première année en stage et depuis quatre mois, je suis seule en poste dans un lycée professionnel. Mes premières impressions sont très positives et l’accueil que me réservent mes collègues est la plupart du temps excellent. L’image qu’on me renvoie de moi dans ce poste m’encourage beaucoup.

Les points positifs pour moi sont assez nombreux : un temps de travail plus grand (30 heures au lieu de 18) mais peu de travail, voire pas du tout à la maison (évidemment je ne tiens pas compte de la part lectures / activités culturelles qui prend du temps en dehors mais qui est un plaisir), un contact moins frontal avec les élèves (dans la mesure où je ne les « note » pas, même si je les évalue, je ne suis pas en confrontation avec eux), une grande liberté par rapport à ma gestion du cdi (budget, activités…), une plus grande collaboration avec mes collègues, un rôle de contact et une place un peu « à part » dans mon établissement.

Les points négatifs sont davantage liés à mon établissement d’exercice : je suis dans un lycée professionnel automobile et c’est difficile de faire lire les élèves, de les inciter à se cultiver davantage. C’est un challenge mais parfois c’est dur. L’autre point négatif serait parfois l’impression de moins transmettre qu’en étant prof de lettres. Mes relations avec les élèves ne sont plus du même ordre. Je suis souvent leur confidente et leur soutien, avant d’être leur professeur, mais il faut dire que ce sont des élèves de milieux souvent défavorisés et je suis heureuse de pouvoir leur apporter mon aide, quelle qu’elle soit.

 

Que représente pour vous votre travail et la vie professionnelle de façon plus générale ?

Mon travail représente tout d’abord très concrètement le moyen d’assurer mon niveau de vie et celui de mes enfants. Je fais mon travail consciencieusement, avec bonne humeur, je pense être assez compétente même s’il me reste beaucoup à apprendre. Mais mon travail ne doit pas me prendre tout mon temps. De plus, c’est un travail qui n’est pas très bien rémunéré, même si je ne veux pas me plaindre. Je suis quelqu’un qui pense que la vie se situe en dehors du travail, dans la réflexion, le développement personnel et l’observation. Parfois lorsque le travail s’accorde à nos préoccupations personnelles, il permet une continuité positive et enrichissante. Ce n’est que mon avis. J’admire les gens passionnés. Mais pour moi la vie est ailleurs …

 

Avez-vous le sentiment d’avoir atteint un certain équilibre en terme de conciliation vie professionnelle / vie personnelle/vie familiale ?

Je n’en sais rien. Actuellement, je suis en pleine séparation et je traverse une période difficile. Je pense que la reconversion s’est étendue à tous les domaines de ma vie. Dans quelques années, je pourrai peut-être répondre à la question.

 

Comment vous projetez-vous d’ici 5 à 10 ans ?

Je ne me projette pas du tout. Actuellement, je vis au jour le jour. On verra bien …

15 thoughts on “Itinéraire d’une reconversion professionnelle

  1. ça fait plaisir de lire cela… ça me donne envie de débuter ma formation….. ne trouvant plus de travail (surtout à temps partiel pour les petites) après 3 années de congé parental, un retour
    qui s’est mal passé….. je retourne sur les bancs de l’université pour une formation diplômante en multimédia,… en sortant, je saurai créer des sites internet….. mais comment se vendre après
    ! comment faire de la pub pour des sites que je pourrai créer pas cher pour trouver des clients…… c’est un peu déroutant à 41 ans !

    votre site est excellent ! bravo !

      

  2. bravo pour votre blog que je découvre grâce à Lisa !…..très jolie initiative que de parler de ces changements de parcours et de donner espoir à tous en voyant que finalement tout est possible !

      

  3. Merci à Lisa pour ce bel article (et très bonne idée que ce blog, je me sens carrément en phase avec la thématique, moi qui « n’arrête pas » de changer de job) ! Bon WE à tous !

      

    1. effectivement, pour des raisons personnelles, depuis cet entretien, Lisa a décidé de fermer ce blog et d’en ouvrir un autre (cf. son dernier billet). Il est possible de lui en demander l’adresse par mail.

        

  4. Comme Lisa, je pense que la vie n’est pas dans le travail, elle doit être réflexion, lecture, voyage, discussion… Et le métier d’enseignant dans le secondaire ne nous donne plus ce temps. Il nous le vole à force de réunions diverses, corrections, validations de compétences, etc. J’aimerais échanger avec Lisa sur sa reconversion. Tout comme elle, je suis professeur de français et j’envisage une reconversion. Je ne supporte plus le rapport frontal prof/élèves, l’administration, notre ministère qui n’a aucun projet à proposer à nos enfants. Et égoïstement, je m’inquiète pour mes enfants, je veux être présente et il m’est difficile de concilier les deux, je m’épuise car j’ai aussi d’autres projets. Il me faudrait plusieurs vies si je continue d’enseigner.

      

  5. Lisa pourrait-elle expliquer quel est le dispositif permettant de devenir professeur-documentaliste par une voie parallèle…

      

  6. L’article sur la reconversion de Lisa m’a beaucoup intéressée car j’aimerais moi aussi changer de discipline pour être professeur documentaliste. Comment faire pour contacter Lisa? son blog de fonctionne plus.
    D’avance merci

    Elise

      

  7. Bonjour
    Belle reconversion que j’aimerais suivre…
    Comme elle, je me dirige vers le métier de prof doc après avoir enseigné l’espagnol 16 ans.
    J’aimerais savoir de quel dispositif il s’agit, dans quelle academie ça a marché pour elle? Qui lui a indiqué la voie parallèle?
    Moi je suis de Toulouse et pour l’instant le discours c’est « repassez un concours! Celui de doc en interne… »
    Merci
    Christine

      

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