J’ai lu avec intérêt « Le choix des femmes » (Odile Jacob, 19 euros), le dernier essai de Fatma Bouvet de la Maisonneuve qui questionne sur le statut de la femme et de la féminité dans la société. Ses idées méritent réflexion et débat.
A travers quatre témoignages de femmes, dont le sien, Fatma Bouvet de la Maisonneuve, médecin psychiatre, décrypte les difficultés qu’elles rencontrent à concilier vie privée et ambitions professionnelles. Elle part des trois piliers les plus usuels de l’épanouissement d’une femme : le désir de maternité, l’équilibre affectif et la réussite professionnelle et des difficultés à réunir ces trois conditions. Selon elle, « les femmes doivent avancer avec trois jambes : la cupabilité, l’affectivité et le manque de confiance en elle ». A la suite de ces témoignages, elle indique quelques pistes de réfléxion autour de la parité et de ce que pourrait être le féminisme aujourd’hui.
J’ai écrit un article pour le site maviepro qui synthétise cet essai. J’ai également interviewé Fatma Bouvet de la Maisonneuve pour compléter mon article. Voici l’intégralité de cette interview (dans mon article, seules quelques citations ont pu être intégrées).
Vous écrivez que les femmes actives doivent faire avec 3 “handicaps” fréquents : la culpabilité, l’affectivité et le manque de confiance en soi. Comment aider les femmes à les surmonter ou, du moins, à composer avec ?
Fatma Bouvet de la Maisonneuve : Je ne parlais pas de » handicaps », tout du moins lorsque je parlais de l’affectivité. D’ailleurs, je leur dis de garder, voire de développer, cette dimension affective puisqu’elle les épanouit. En revanche, les handicaps résident dans la propension importante à la culpabilité que manifestent les femmes, et qui vient souvent du manque de confiance qu’elles ont en elles.
Il y a, dans les solutions individuelles du livre, quelques conseils. Le but est de travailler sur la réalité des faits. Ces femmes ne sont pas moins intelligentes que les hommes, mais elles sont souvent éloignés des lieux de décisions et de pouvoir, raisons pour lesquelles, elles se sentent décalées et moins légitimes à remplir certaines fonctions que les hommes.
Lorsque je les accompagne, nous travaillons sur certains perceptions de situations dont nous constatons ensemble qu’elles sont distordues du fait justement de cette faible estime de soi. Elles se rendent compte de la réalité de la situation et s’exercent à s’imposer, en douceur mais avec persévérance et durabilité.
Cet exercice n’est pas toujours facile puisque les appréciations ne sont pas d’emblée en leur faveur. Mais elles apprennent à mettre en valeur leurs avantages, leurs réalisations. Elles s’exercent à relever ce qui ne leur convient pas, elles parviennent ainsi petit à petit à s’imposer.
La question de la culpabilité féminine proprement dite est une question complexe à laquelle peu de théoriciens parviennent à répondre, et pourtant j’ai cherché des explications puisque mes patientes me demandent sans cesse pourquoi elles culpabilisent plus que les hommes. L’accompagnement atténue, un peu seulement, ce sentiment lourd, mais ne le fait pas disparaître. Heureusement d’ailleurs, il ne faut pas chercher à le faire disparaître, imaginez que l’on ne sente coupable de rien ! Tout irait dans tous les sens !
Mais pour en revenir au sentiment pesant de culpabilité chez les femmes, il semble être en lien avec une sorte d’angoisse profonde à réaliser ou à exprimer son désir. Les femmes que je vois ne savent plus ce qu’elles désirent, prises par un tourbillon accéléré de leur vie. Nous essayons ensemble de le retrouver et elles apprennent à dire qu’elles sont heureuses de l’avoir retrouver sans craindre que le ciel leur tombe sur la tête ! » J’ai peur d’être trop heureuse ».
Vous insistez sur le bon usage de la parité. Que voulez-vous dire par là ?
Le bon usage de la parité est un concept simple qui vise à montrer que les lois sur la parité n’ont abouti qu’à un progrès insignifiant. La véritable réflexion sur la parité est une réflexion de fond qui doit s’engager à travers plusieurs prismes : ceux de la sociologie, de la psychologie, de la santé, de la politique etc.
Le problème se situe aujourd’hui dans l’adaptation du monde du travail à la société moderne. Les critères du monde professionnel sont dépassés et désuets : d’une part, ils ne tiennent pas compte de l’arrivée des femmes pourtant ancienne (plus de 40 ans) puisqu’ils discriminent encore des mères, puisqu’ils dévalorisent certaines spécificités psychologiques dites féminines, comme l’hyper investissement au travail (elles prennent les choses trop à coeur) ou leur capacité à l’empathie (émotives), etc.
D’autre part, le monde du travail ne tient pas compte de l’évolution de la société qui voudrait que le travail occupe une autre place dans la vie, que des moyens de communications permettent de réaliser des missions professionnelles dans des conditions différentes et surtout, cette évolution montre à quel point le privé prime sur le métier, y compris pour les jeunes hommes contemporains.
Le bon usage de la parité, c’est repérer des talents féminins, reconnaître leurs qualités à travers un point de vue global de compétence et non à travers un prisme masculin.
C’est faire en sorte qu’une promotion pour une mère de famille ne soit plus anxiogène parce qu’elle ne saurait pas à qui laisser ses enfants lors de réunions qui commencent à 19 heures.
C’est ne plus imposer aux jeunes femmes qui n’ont pas d’enfants de travailler jusqu’à pas d’heures sous prétexte que, elles, n’ont pas d’enfants.
Le bon usage de la parité serait de permettre à une femme qui un plan de carrière ambitieux et mérité, de « lâcher du lest » pendant que ces enfants sont en bas âge si elle souhaite s’en occuper et de reprendre sa progression de façon linéaire sans avoir été pénalisée de cette interruption.
C’est reconnaître les valeurs ajoutées de la psychologie féminine.
C’est une rémunération égale pour un poste égal, etc.
Vous terminez votre livre en appelant à un autre féminisme. Quel serait-il ?
Le féminisme se préoccupe de l’égalité des droit des femmes et lutte contre les injustice faites aux femmes. Il doit être considéré avec autant de gravité que les droits de l’Homme.
Le féminisme par le choix est celui qui ne juge pas et qui ne dicte pas aux femmes ce qu’elles doivent penser ni faire.
Mais aujourd’hui les femmes, même si elles reconnaissent devoir énormément aux féministes des années 70, se trouvent en porte-à-faux face à la difficulté de l’expression de leur féminité.
Elles ont longtemps couru derrière un modèle masculin qui ne leur convient pas.
Elles veulent marquer leur différence tout en étant les égales des hommes.
Elles souhaitent que leurs choix ne soient pas dévalorisés parce que ce sont des choix qui diffèrent de ceux des hommes.
Elles sont suffisamment instruites (plus que les hommes, en France), suffisamment responsables et matures pour décider de leur destin, et n’acceptent plus qu’on leur donne des leçons.
Leur affranchissement ne les dispense pas de leur désir d’enfant. Elles considèrent aujourd’hui que les féministes ont oublié la place de la famille et de l’enfant, et donc la question du partage des tâches.
Elles souhaitent donc réhabiliter l’enfant et voudraient que leur choix ne soit plus critiqué. Bien sûr, il s’agit là du vrai choix et non du choix sous la contrainte (par manque de place en crèche par exemple). Favoriser l’éducation de son enfant devrait valoir autant qu’avantager sa carrière lorsqu’on est mère, et cela ne doit plus être jugé. Cela relève de leur seul choix, de leur seule responsabilité.
Ce féminisme-là devrait remettre le débat de l’égalité hommes/femmes sur la place publique pour évoquer la politique de la petite enfance et de la famille qui sont des questions cruciales, car les femmes ne tiennent plus.
Je pense même qu’avec leur niveau d’éducation, la situation s’aggrave car leurs ambitions sont légitimement plus importantes professionnellement, mais elles sont entravées, et la déception est d’autant plus lourde. Rajouter à cela, les charges domestiques… Ces femmes sont épuisées et cela doit attirer l’attention des responsables.
on retrouve certains thèmes récurrents, ainsi « lâcher du lest pendant que ces enfants sont en bas âge ». Le
bas-âge c’est censé aller jusqu’où ? L’âge de l’école ? Est ce vraiment une bonne idée d’y rester 10h par jour dès 3 ans, voire 2 ?Admettons. Mais le bas-âge n’est pas forcément le plus
problématique; à la rigueur on peut trouver une nounou efficace, mais à l’âge du collège il va être plus délicat de mettre en place une organisation qui dissuade de se précipiter sur
l’ordinateur/jeux vidéos/télé/pot de N***a dès les cours terminés, d’autant plus que parfois il n’y a même pas cours… (emploi du temps à trous, prof absent). On oublie trop qu’avoir des enfants
c’est un engagement sur toute une vie, et que la question ne se réduit pas à disposer d ‘un nombre illimité de crèches ouvertes 24h/24.
« Favoriser l’éducation de son enfant devrait valoir autant qu’avantager sa carrière », mais
sur quel plan ? Peut on envisager d’accorder par exemple une augmentation équivalente à la personne ayant pris un congé parental, et à celle ayant travaillé à temps plein pendant la même durée ?
Peut on envisager de rémunérer systématiquement ce congé parental ? (faute de quoi réduire son activité pour s’occuper de ses enfants devient un luxe que seules des femmes avec un conjoint ayant
de bons revenus peuvent se permettre ?) Comment gérer les situations de compétition fréquentes dans la vie professionnelle des « ambitieuses » ?
J’ai parfois l’impression d’un
certain irréalisme dans ce type de bouquin …?
nathalie
Je suis en accord avec cette vision d’un nouveau féminisme.
J’ajouterais qu’à vouloir courir après le modèle masculin franco français du « présentéisme en entreprisme », les deux parents ont actuellement une charge de travail (en incluant le travail
domestique et parental) qui les épuisent. Il me semble donc important de ne plus chercher à simplement mieux gérer son temps, mais à remettre aussi en question la place du travail dans notre vie
pour les hommes et les femmes. Je suis pour une réduction du temps de travail journalier (pouvoir sortir à 17h du travail pour rentrer à la maison profiter de mes enfants), quitte à travailler
plus de jours dans l’année. L’erreur des 35h pour les familles avec enfants a été l’annualisation du temps de travail…
amblard