Je me suis enfin décidée à lire « Les mères qui travaillent sont-elles coupables ? » de Sylviane Giampino, psychanalyste auprès des jeunes enfants et de leurs familles. Ce livre a été publié en 2000 et régulièrement ré-édité depuis. Outre la tendance maternelle à culpabiliser, elle distingue une culpabilité « masquée », induite par l’environnement, qui parasite la relation aux enfants, la vie de couple et la vie professionnelle.
Ses 2 principaux messages (enfin, ceux que j’ai retenus !) :
– elle dénonce trois fausses vérités qui culpabilisent : « l’engagement professionnel des mères est nocif pour l’équilibre psychologique des enfants » ; « lorsque la mère se sent bien, les enfants vont bien » et « pour un enfant, rien ne vaut sa mère ». Pour plus de détails sur ces trois points, je vous renvoie à cette interview très complète parue dans le magazine Réalités familiales.
– la séparation précoce entre l’enfant et son milieu familial pendant le travail de ses deux parents n’est nullement pathogène, si cette séparation est réalisée dans de bonnes conditions d’accueil et de relation. La socialisation de l’enfant présente un véritable intérêt pour son développement, à condition qu’elle s’accompagne d’un souci de protection de son individualité naissante.
Elle revient également sur les notions de présence et d’absence. (cf. mon billet à ce sujet). La présence maternelle se décline sur deux registres : la présence physique et la présence psychique. Une mère peut être absente physiquement-absente psychiquement, présente-présente, présente-absente ou absente-présente. Selon elle, les enfants ont besoin de repères, de rythmes, de « plates-formes de sécurisation ». Elle rappelle l’importance pour l’enfant que les parents sachent anticiper verbalement leurs présences et leurs absences.
Une citation : « Lorsque la femme veut prendre la clef des champs, la mère la retient. Lorsque la mère veut envahir tout l’espace, la femme ouvre les portes pour donner de l’air et indiquer la sortie. Les tiraillements internes, les rééquilibrages permanents qui sont si souvent reprochés aux femmes sont des signes de leur santé ».
En conclusion, Sylviane Giampino insiste sur l’importance à ne pas exagérer la toute-puissance psychologique de la mère sur ses enfants et la nécessité de l’engagement du père et de l’entourage pour élever et éduquer un enfant.
En gros, les parents doivent partager la responsabilité, (et donc l’éventuelle culpabilité !) du bien-être des enfants. L’équilibre des enfants est également du ressort de la société et donc des entreprises.
Elle insiste longuement (trop ?) sur la nécessité de multiplier les modes de garde de qualité (à la fin de l’ouvrage, elle détaille les avantages et inconvénients des différents modes de garde : crèche, assistante maternelle, nounou à domicile, grands-parents, congé parental). Elle évoque plus rapidement l’importance de revoir l’organisation du travail.
Quelques regrets :
– Sylviane Giampiano se concentre essentiellement sur la période de 0 à 3 ans de l’enfant, sur le choix du mode de garde à ce moment-là. S’il est vrai que cette période est cruciale, j’aurais cependant aimé qu’elle évoque également les questions et interrogations que les parents peuvent se poser lorsque l’enfant entre à l’école, au collège, devient adolescent, etc.
– Il aurait été intéressant d’élargir le débat (très centré sur la notion de culpabilisation) aux sentiments de frustration, de conflit que peuvent ressentir les mères.
– De même, j’aurais aimé qu’elle aborde davantage la façon dont les femmes s’impliquaient dans leur vie professionnelle, les freins psychologiques qu’elles pouvaient se mettre elles-mêmes ou les obstacles qu’elles pouvaient rencontrer du fait de leur statut de mère de famille.
Aller plus loin
■ Interview de Sylviane Giampino sur femmes-emploi.fr
■ Parentalité et carrière, un article publié dans le magazine d’HEC
■ Mère salariée, déculpabilisez-vous ! : un article de Corinne Dillenseger paru sur maviepro
Bonjour
Gaëlle,
Merci pour
cette analyse pertinente de ce livre. Je l’ai lu également pour enrichir l’année dernière mon mémoire d’analyse concernant l’articulation vie professionnelle – vie familiale.
Un point m’a
particulièrement intéressé dans ce livre, c’est celui de l’identité des salariés masculins et des stéréotypes présents dans l’entreprise.
En effet, la
psychanalyste Sylviane GIAMPINO l’explique très bien : « les hommes aujourd’hui ont rejoint les femmes sur un point : ne pas tout miser sur le travail pour réussir sa vie. Les violences
managériales, la financiarisation, les sièges éjectables à tous les étages, produisent
leurs effets (…). Les hommes qui
jusque dans les années 90, avaient misé sur l’investissement professionnel pour sécuriser leur avenir et celui de leur famille, ont fait depuis l’expérience que quel que soit leur mérite et leur
compétence, l’entreprise n’est plus fiable envers eux ».
Ainsi, plus les hommes ont des postes à
responsabilités et plus ils sont soumis aux stéréotypes de disponibilité totale à leur entreprise et ainsi de présentéisme.
Difficile ensuite de parler d’égalité
professionnelle hommes-femmes dans certaines entreprises…
Karen
Je n’ai pas lu cet essai mais en lisant l’interview de l’auteure, je me trouve en désaccord déjà avec son titre « les mères qui travaillent sont-elles coupables? » et ensuite sur les questions de
« si la mère va bien, l’enfant va bien » et sur « le rôle du père ».
1/ Je ne vois pas en quoi il faudrait se sentir coupable de travailler et de gagner son pain et celui des enfants. De participer matériellement à leur nourriture, leurs vêtements, leurs études et
aussi d’assurer déjà notre survie alimentaire, logement et notre autonomie.
La culpabilité vient de visions machistes et religieuses. L’essentialisme, le naturalisme actuels crééent ces injonctions culpabilisantes auxquelles les femmes se doivent de résister. Parce qu’il
en va simplement de leur survie et de celle de leurs enfants. Nous devons pour une majorité d’entre nous travailler si nous voulons pouvoir avoir à manger, nous loger, nous déplacer. Notre
travail salarié n’est pas un luxe mais une nécessité. Alors pourquoi culpabiliser? Il n’y a aucune honte à avoir à assurer sa survie et celle de ses enfants. Et nous devons l’expliquer aux
enfants. Ils doivent comprendre que si nous ne travaillons pas, il n’y aura rien à manger dans les assiettes, il n’y aura pas de chauffage, il n’y aura pas de toit sur leur tête, il n’y aura pas
d’école, d’études, de loisirs, de vêtements en suffisance. Et encore plus dramatique, sans travail, il n’y aura pas pour nous autres femmes et mamans de retraite pour vivre et nous soigner
décemment après 60 ans. Donc il faut travailler.
2/ Si la femme-mère va bien, se sent bien dans sa tête et dans ses choix personnels et professionnels, elle communiquera ce bien-être à son enfant. Quel que soit son travail. Mais mieux vaut un
travail qui épanouit la femme qu’un travail où elle se sent mal, humiliée, harassée…Or aujourd’hui, une majorité de femmes sont obligées de travailler pour vivre et travaillent de plus en plus
souvent (à cause de la crise et du chômage) dans des jobs non seulement peu épanouissants mais qui ne payent pas suffisamment et qui les mettent dans une situation d’humiliation permanente. Alors
forcément se produit un malaise qui se communique aux enfants et qui va créer un conflit énorme qui amène un divorce entre la femme et la mère. La maternité va passer pour une sorte de valeur
refuge pour réparer les blessures de la vie pro et cela l’enfant va le sentir et accentuer ce malaise.
3/ Autre modalité de malaise, la place du père. Qui n’est pas en adéquation pour plusieurs raisons (et voici lesquelles pour moi):
– n’intéresse pas fondamentalement les hommes (qui considèrent encore majoritairement n’être pas indispensables pour élever le jeune enfant de 0 à 3 ans -tâches peu gratifiantes, répétitives,
plus nourricières que relationnelles donc que les hommes rechignent plus volontiers à accomplir).
– le rôle de père pourrait démarrer dès lors que l’homme serait investi d’une responsabilité contraceptive et sexuelle. Ce qui n’est toujours pas le cas puisque la contraception n’est assumée
depuis 30 ans que par les femmes dans l’immense majorité des cas. Et qu’au niveau sexuel il n’y a pas de prise de conscience chez l’homme qu’il a autant à assumer que la femme. L’homme est plus
consommateur de sexualité qu’acteur responsable. Donc il ne peut voir son rôle de parent en terme de responsabilité. Ce qui sera plus facile pour la femme qui gère déjà de façon responsable la
sexualité du couple.
– les femmes ont tendance à aussi investir la parentalité en reines absolutistes puisque cette position leur permet de compenser les vexations subies dans un travail, que cette position n’a
jamais été contestée socialement (que la domination masculine y a toujours trouvé avantage) mais aussi cet investissement voire surinvestissement maternel lui permet d’obtenir une relation
fusionnelle avec autrui, relation qu’elles ont beaucoup de mal à vivre dans leur couple et dans la relation sexuelle et amoureuse avec leur compagnon. Ce pour plusieurs raisons
(Je renvoie au niveau de l’explication à ces deux liens vidéo de la gynécologue Danièle Flaumenbaum qui explique très bien ce qui se passe à la naissance d’un enfant dans la sexualité des
couples):
http://www.youtube.com/watch?v=MKGeU-78e6k&NR=1
http://www.youtube.com/watch?v=TbuegcX2WAU&feature=related
-enfin la société n’a jamais considéré le travail des femmes comme étant un moteur économique. Il s’agit toujours dans la tête des entreprises comme des administrations, d’un salaire de confort,
pas d’un salaire de nécessité. Or la plupart des femmes travaillent pour un salaire de nécessité. Il faut sans cesse le rappeler et le marteler. A partir de là, il faut qu’il y ait une prise en
charge sociétale du jeune enfant avec des modes de garde étendus et une prise en compte de l’entreprise et du monde du travail en général de la nécessité d’un partage équitable des tâches
éducatives et ménagères chez l’homme et la femme.
Le père c’est la socialisation, la verbalisation de l’enfant, un comportement stable, des repères solides et une autorité qui pose des limites et des interdits. Sans son implication quotidienne,
un enfant ne se construit pas correctement et aura plus de difficultés à se developper mais aussi plus de difficultés à l’âge adulte à se stabiliser et à pouvoir s’insérer dans un groupe et dans
une relation à autrui.
Muse