Paris / province ?

Le débat Paris/province se poursuit avec Thècle

Après le témoignage de Sabrina, plutôt satisfaite d’avoir fait le choix de la province (Lyon), voici le tour de Thècle, qui elle, garde un souvenir plus que mitigé des quelques années qu’elle a passées dans le Nord de la France. Voici son expérience relatée avec beaucoup de franchise, d’humour et de recul… Vous pouvez également retrouver Thècle sur son blog, plein de vie et de sensibilité.



Comment s’est prise la décision de quitter Paris et de partir en province ?

L’année 2004-2005 s’est très mal passée pour mon mari, alors directeur adjoint. Le grand patron était changé, le nouveau voulait se débarrasser de l’ancien bras droit qui connaissait trop bien la boîte et lui faisait de l’ombre. Mon mari a senti le licenciement venir dès les présentations !

Nous n’avions aucun a priori concernant un éventuel point de chute. J’aime beaucoup Paris mais je trouvais déjà les loyers trop élevés (ça a empiré depuis !), et puis je venais d’avoir mon troisième enfant, quatrième pour mon mari. J’étais en congé parental et pouvais donc le suivre n’importe où. Sinon j’aurais dû démissionner de ma boîte d’immobilier de bureaux.

Quand mon mari m’a téléphoné un jour de printemps pour me demander ce que je pensais de « Lille », à la suite d’une proposition ferme, je n’ai bien sûr pas hésité une seconde : plus de responsabilités pour lui, un salaire légèrement supérieur : je ne connaissais pas le Nord mais que demande le peuple !

Nous avons immédiatement programmé un petit voyage de deux jours, en casant deux enfants sur trois, pour chercher un appartement. Nous étions en juillet et mon mari devait commencer à la mi-août.

Comment cela s’est-il passé concrètement pour toi et ton conjoint ? Au niveau financier, avez-vous eu l’impression d’y perdre par rapport à Paris ?

Au niveau financier, nous y gagnions carrément, ce qui est apparemment peu commun dans ce cas de figure « de Paris vers la province ». En effet mon mari gagnait légèrement plus, moi avec mes allocations de congé parental rien n’était modifié, malgré un changement de CAF, mais surtout le loyer diminuait de beaucoup. Ainsi à Neuilly-sur-Seine nous payions à l’époque 1000 euros pour 63 m2, et dans la bourgade de 6000 habitants, entre Lille et Béthune, où nous avons atterri, nous avons pu louer un appartement de 120 m2 pour 700 euros ! Notre pouvoir d’achat est monté en flèche, mais pas notre qualité de vie, hélas !

En effet nous avions d’abord eu l’intention de louer un appartement à Lille, mais le niveau des loyers, quasiment parisiens, nous a semblé effarant. Dans notre esprit Lille était quand même une « petite » ville avec moins d’opportunités qu’à Paris ; de plus je suis tombée d’horreurs en horreurs lors de mes deux jours de visite. Parfois les agents immobiliers ne se déplaçaient même pas, je devais emprunter et rapporter les clefs !

Malgré notre méconnaissance totale de l’endroit nous avons heureusement compris que nous avions affaire à une région très peuplée, avec une circulation conséquente sur les routes, beaucoup de bouchons, et mon mari allait travailler à 10 km environ de l’agglomération. Il était plus sage d’éviter les bouchons matinaux et de chercher un logement dans l’autre sens, vers l’endroit où mon mari allait travailler, pas côté Lille ! Nous sommes alors tombés sur cet appartement en rénovation, dans une bourgade traversée par une nationale sur laquelle, j’allais le découvrir bientôt, passaient toute la journée d’énormes camions chargés de pommes de terre, betteraves et compagnie…

Comment s’est passée votre installation en province ?

J’ai donc passé les quinze derniers jours d’août 2005 dans ma nouvelle bourgade, en attendant la rentrée pour mes deux aînés, en maternelle.

J’ai immédiatement déchanté. Cette petite ville (de 6000 habitants quand même !) n’avait aucune infrastructure pour les gens comme moi, les parents en congé parental vivant en appartement !

Parisiens trop vite installés, ignorants la manière de vivre là-bas, et pensant qu’il allait pleuvoir toute l’année, nous avions opté sans état d’âme pour un appartement sans balcon. (La vérité est que nous avions opté pour ce que nous avions trouvé !) Nous avions affaire à un grand territoire de propriétaires de maisons, avec jardin, la plupart excentrés par rapport au bourg. Les locataires d’appartement (surtout sans balcon !) étaient les jeunes, les gens trop justes financièrement, en HLM par exemple, les jeunes couples avec un enfant (et encore !) ou les personnes âgées devant laisser leur trop grande maison. Des familles nombreuses en appartement comme nous, c’était saugrenu ! Les petites villes du coin n’avaient aucun jardin public, pas de piscine, pas de lieux de promenade, peu de magasins. Pour moi qui étais habituée à me promener dans une ville verdoyante aux larges trottoirs, à faire mes courses au passage, à pousser jusqu’au Bois de Boulogne si ça me chantait et à aller à la bibliothèque, c’était la mort, ni plus ni moins !

J’ai découvert un endroit où tout le monde vivait un peu en autarcie ou dans son cercle : chacun son jardin, sa voiture pour aller dans son supermarché à 5, 10 ou 15 km, aucun espace public, ses allées et venues en voiture pour emmener les enfants à droite à gauche…Pas de lieu de rencontre : il valait mieux être né ici ou y avoir des amis installés depuis des années !

J’étais bien plus « à la campagne » dans le XIVème arrondissement de Paris, à Neuilly ou place du Trocadéro!

Donc en réalité je suis allée de déconvenues en déconvenues : une vie sociale réduite à la portion congrue, un environnement qui me semblait laid, peu soigné, très peu d’infrastructures publiques à ma disposition : je n’avais que mes sous à dépenser pour m’occuper, ce qui en soi est un peu vain, tout de même ! Justement le Nord est très doué pour ça : le commerce. On trouve des grossistes, des ventes privés, des discounters, des solderies un peu partout. A côté de chez moi un grand local écoulait des stocks entiers de produits de marque qui avaient échappé à un sinistre, 40 % moins cher : j’y ai passé pas mal d’heures. La Maison de la Presse du coin était contente de me voir également, en tant qu’authentique « sponsoriseuse » de la presse écrite française de 2005 à 2008. J’ai créé mon blog sur la parentalité selon mon point de vue, qui s’est tout d’abord appelé « Notre petite famille dans le Nord. »
Mais pour ma vie sociale et l’éveil de mes petits (j’ai eu là-bas mon 4ème enfant en 2006), j’étais désespérée. Le seul endroit où j’aurais pu rencontrer d’autres mamans était l’école, mais dans le Nord la plupart travaillent, passent vite matin et soir, et les mamans qui ne travaillaient pas étaient souvent super investies dans la paroisse (nous avions mis nos enfants dans une école privée catholique.) Moi j’ai eu tout du long de mon séjour là-bas de très jeunes enfants, personne pour les garder, et je ne pouvais les amener nulle part : l’école n’acceptait pas les poussettes lors des activités dans les locaux, sans parler des sorties, quant à la paroisse je ne souhaitais pas m’y investir, et du reste j’avais quand même énormément de travail à la maison, avec mes 3, puis mes 4, quand ce n’était pas 5. Mon mari travaillait énormément et rentrait très tard.

Et puis, peut-être n’ai-je pas eu l’heur de plaire, c’est tout. C’est vrai que je disais assez facilement que cet endroit ne me convenait pas, à des gens installés là depuis des générations ! C’était maladroit de ma part, mais moi qui avais toujours beaucoup bougé, là je me sentais coincée et j’avais besoin de parler. A tort. C’était une mentalité de village, tout finissait par se savoir. Dans ces conditions il n’aurait pas fallu faire la maligne ! J’avais l’impression d’être devenue muette : parfois je ne parlais à aucun adulte dans la journée.

Les raisons de cette sociabilité difficile pour un arrivant étaient aussi structurelles à mon avis : la population du Nord, hors Lille, est assez peu mobile, d’après ce que j’ai observé. Si vous faites des connaissances dans Paris, 9 fois sur 10 vous rencontrez quelqu’un qui n’y est pas né, qui n’a pas sa famille ni ses amis depuis des années tout à côté, et qui est donc bien content de se faire de nouvelles connaissances, comme moi. En province, toujours d’après mes observations (je suis née à Niort, Deux-Sèvres, et j’ai vécu dans le Poitou-Charentes jusqu’à mes 23 ans), les gens sont souvent plus stables géographiquement. Il n’est pas rare que leurs parents, beaux-parents, cousins, beaux-frères, etc. soient tous dans un périmètre de moins de 50 km. Les grands-mères gardent beaucoup plus souvent les petits, quand ce n’est pas du dépannage familial de manière courante. Les services des assistantes maternelles reviennent également moins cher qu’à Paris. Tout combiné, cela fait des mères de famille qui travaillent plus souvent que les parisiennes dont, études ou pas, le salaire n’arrive pas toujours à couvrir les frais de garde, phénomène empirant avec le nombre d’enfants. Cela fait donc des gens qui passent en courant et qui n’ont pas le temps de prendre des cafés en papotant. Cela fait aussi des gens qui ont moins bougé, ont des manières plus conventionnelles, ne sont pas dans un manque de sociabilité puisque tout leur univers connu est là, et ne comprennent vraiment pas ce que vous racontez, quand vous dites que vous vous ennuyez tellement dans cet endroit sans jardin public. Et qui peut-être se vexent, quand vous ne déclenchez pas des jalousies avec votre fécondité exponentielle.

J’ai passé deux ans et demi à vouloir déménager, mais la situation professionnelle de mon mari nous semblait trop aléatoire pour refaire une installation. Nous avons préféré laisser venir, et en 2008 nous étions de nouveau en recherche d’emploi pour lui, alors que j’étais toujours en congé parental. Mais si j’avais dû travailler, à part caissière dans le hard discount je ne vois pas ce que j’aurais trouvé ! Secrétaire à Lille, peut-être, à une demi-heure de train…C’était un environnement vraiment sinistré sur le plan de l’emploi et des infrastructures sociales publiques (crèches, bibliothèques, piscines, parcs, accueils maman-bébé,…)

Un point positif a été pour moi l’obligation d’avoir une (seconde) voiture. J’avais horreur de conduire, et malgré mon permis passé tardivement en 2001, si nous n’avions pas été dans un tel environnement (un des premiers lundis je m’étais retrouvée sans couches et… rien d’ouvert ! Il aurait fallu que je fasse cinq kilomètres !) jamais je n’aurais pris le volant de manière courante. J’avais toujours tout fait à pieds. Au début c’était épouvantable, et puis je me suis (un peu) habituée. De retour en région parisienne, je me suis empressée de me débarrasser de la seconde voiture et de « perdre » la clef du parking !

Autre point positif, l’école : elle acceptait les enfants à deux ans ! Comme mon Andréa était condamné à rester enfermé sans connaître de jeux ni d’autres enfants (pas de parc, pas de copines !), j’en ai été très reconnaissante. Et la maîtresse était (est toujours !) une personne extraordinaire ! Ca, ça a vraiment été une chance pour Andréa, et pour moi, donc. En région parisienne, c’est trois ans avant Noël pour entrer en septembre, sinon rien, public ou privé. Du moins pour ce que je connais.

Concernant la conciliation vie privée / vie professionnelle, estimes-tu que la vie en province la facilite ou pas ?

 

Nous sommes donc revenus en Ile-de-France il y a un an. Quel soulagement ! Nous avons perdu la surface de la moitié de l’appartement du Nord et doublé le loyer, mais avons tout gagné question infrastructures collectives.

Tout en région parisienne ne se vaut pas, mais ma petite ville à l’ouest de Paris est extraordinaire pour aider les parents : une incription à l’année modique pour la garderie matin et soir (jusqu’à 19 heures !), tout le mercredi, toutes les vacances, été compris, un accueil en cas de grève,…Jamais je ne trouverai ça en province, où il n’y a pas partout de centre aéré le mercredi et où la semaine de centre de loisirs coûte la moitié de l’inscription annuelle ici !

De plus, moi qui dois retravailler (ouf !) en septembre prochain, quand ma fille ira à l’école et que ce ne sera plus ruineux en gardes d’enfant, je ne vois que des avantages à vivre dans un endroit où il y a tant de sièges sociaux et d’entreprises au m2. Il me semble qu’il est possible que je trouve un emploi entre chez moi et l’école, et que je continue à faire tout à pieds ! Avec 4 enfants, et tout ce qui m’attend à la maison, c’est fondamental pour moi. En province, tout le monde perd son temps sur la route et dans des supermarchés bondés aux heures de pointe des salariés. Ici je peux imaginer faire mes courses à l’heure du déjeuner, me les faire livrer le soir, ou quelque chose comme ça, sans parler des courses sur internet, pas possibles partout.

Ici je peux imaginer ne pas avoir à prendre de baby sitter pour « les sorties d’école », puisque le centre de loisirs ferme ses portes à 19 heures.

Si je devais repartir en province, je pense que j’essaierais de travailler à la maison car je ne supporterais pas ces temps de transports, ce casse-tête pour déposer les enfants à l’école avant de faire des kilomètres pour aller travailler, ces magasins qui ferment entre midi et deux et tôt le soir,…

Donc, ma réponse est que la province ne facilite pas forcément la conciliation vie privée/vie professionnelle. Pas dans mon cas en tout cas.

Et si c’était à refaire… ?

J’étudierais bien mieux les choses : je supplierais mes beaux-parents de bien vouloir garder TOUS les enfants une semaine et non pas deux jours pour faire suffisamment de visites, je me documenterais mieux sur la région, et je n’irais jamais plus dans un « bled » à l’aveuglette. Si je devais repartir dans le Nord, j’irais dans une ville obligatoirement, quel que soit le loyer (enfin on dit ça…) : j’ai bien aimé Douai, par exemple, mais ça nous semblait trop loin. Les provinciaux font souvent énormément de kilomètres pour aller travailler; nous n’étions pas prêts à ça, surtout que nous étions locataires, sans aucune attache, et que nous ne pensions pas nous installer des années.

Mais personnellement je préfèrerais que mon mari gagne le double et que je trouve un bon travail pour louer ici un appartement familial digne de ce nom (premiers prix : 2000 euros !) Ca fait mal au coeur, mais ici je trouve tout ce dont j’ai besoin, espaces verts et surtout copines en prime !

Quels conseils pourrais-tu donner aux personnes qui envisagent de s’installer en province ?

Je conseille avant tout de bien s’informer sur la région, de passer un certain temps à visiter, et de bien savoir ce que l’on aime, et ce que l’on ne supporte pas. Tout le monde n’est pas à l’aise dans une maison ; tout le monde ne supporte pas des rues trop bruyantes…Il faut éviter de se jeter sur n’importe quoi pour classer l’affaire. Il faut se demander clairement ce que l’on est en tant que famille et regarder autour de soi pour voir si on correspond peu ou prou à « l’ambiance ». Un beau paysage ne suffit pas non plus, à mon sens c’est plus l’environnement social qui est à privilégier. Ou alors tout miser sur « la » maison, grande, belle, au magnifique jardin, et là cela devient un projet à soi tout seul, avec des dérivés engendrant la sociabilité : chambres d’amis, piscine, verdure,…

J’ai des amis qui ne supporteraient pas de vivre à Paris, de faire les courses avec leur poussette vide en guise de caddie quand leur enfant est en garderie, qui n’aiment pas faire les boutiques, qui ne supporteraient pas un petit appartement avec autant d’enfants. Chacun doit apprendre ce qui lui convient.

Moi j’ai appris que le « grand appartement » ne me donnait aucun plaisir quand il n’y a rien d’autre autour ; j’ai besoin d’être contente de ce que je vois en sortant de chez moi : des espaces verts soignés, de la vie à toute heure du jour, des magasins ouverts toute la journée, une certaine « civilité »,…


5 thoughts on “Le débat Paris/province se poursuit avec Thècle

  1. C’est clair que cloitrée chez soi avec 4 tous petits et pas de vie sociale c’est dur dur! Et ca me stresse pcq je sens que c’est ce qui me pend au nez….à Paris!

      

  2. @ Thècle : ravie de ton petit commentaire, je file lire ton nouveau blog ! Et j’en profite pour te souhaiter une très belle année (même si nous sommes déjà en février !).

      

  3. Il n’est pas nouveau ; c’est l’ancien remanié, mais j’en crée deux autres. Par contre voudrais-tu me redonner ton mail car je n’ai pas réussi à t’envoyer un message privé sur ton blog, et j’ai perdu tous mes mails de l’ancien blog ?

      

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