Portraits de femmes

Estelle, 45 ans, de cadre dans l’agro-alimentaire à la tête d’une boulangerie/pâtisserie

boulangerie-0135-19Grâce à une amie commune, j’ai fait la connaissance d’Estelle Lévy lors d’une soirée. Lorsqu’elle m’a parlé de son parcours et de sa reconversion, j’ai trouvé cela vraiment intéressant et inspirant. J’ai donc eu envie de faire son portrait pour En Aparté et d’aller à sa rencontre dans son nouvel univers.

« J’ai été élevée par des parents qui étaient commerçants à Besançon. On vivait au rythme du magasin. Je pense que cela m’a pas mal influencée 😉

J’ai fait une école de commerce à Paris (ISG). A 20 ans, je voulais déjà me mettre à mon compte, mais je ne savais pas encore dans quel domaine. Puis très vite, j’ai découvert l’univers alimentaire et là, j’ai compris que cela serait sans doute dans ce domaine que je créerais quelque chose à moi !

Pendant 15 années, j’ai été salariée dans différentes entreprises. J’ai commencé dans l’univers de la bière en tant que chef de secteur en grande distribution pendant 3 ans. C’était intéressant, mais moralement, on perd un peu le sens de l’éthique je trouve. En revanche, en termes de marketing et de merchandising, j’ai beaucoup appris.

Ensuite, j’ai travaillé pour une PME pendant 3-4 ans dans le saumon fumé en tant que commerciale. Cela me convenait mieux. En revanche, je faisais beaucoup de route, environ 80 000 kms par an.

J’ai alors décidé de négocier avec les centrales d’achats, au poste de compte clé, pour Flodor, Madrange et enfin Delpierre (NDLR : un petit lien pour en savoir plus sur le métier de compte clé). J’ai fait cela pendant 7 ans, il fallait convaincre les centrales de référencer nos produits, monter des opérations promotionnelles et présenter cela à notre force de vente pour les relayer sur le terrain. J’ai aimé la diversité de cette fonction, le fait d’être proche des usines et du contrôle de gestion pour le développement des nouveaux produits, des planifications de production, des investissements de matériel… Bref, cela m’a donné une expérience large et concrète des différentes étapes de mise en marché des produits.

A l’occasion d’une restructuration, je me suis dit que c’était le bon moment pour me lancer et remonter à Paris. J’ai donc négocié mon départ. J’ai hésité entre la restauration et la boulangerie. Mais la restauration me faisait un peu peur, je ne me sentais pas d’assurer un service avec le stress que cela génère. Je me suis donc décidée pour la boulangerie.

J’ai passé un CAP boulangerie en reconversion pour adultes, j’ai eu quelques aides financières (mes heures du DIF, aide de la région) et le reste je l’ai financé moi-même. Je me suis alors rendue compte qu’en France, pour monter un projet il fallait de l’argent ! J’ai fait mon stage de fin de CAP au Grenier à pains aux Abbesses avec Djibril Bodian qui venait de recevoir le titre de meilleure baguette. J’en garde un très bon souvenir. Parallèlement, j’ai vendu un appartement que j’avais à Toulouse, ce qui m’a permis d’avoir un apport personnel pour me présenter devant les banques et acheter mon fond de commerce.

Mais je ne pensais pas que cela serait si dur d’obtenir des financements, de créer son entreprise. Et pourtant j’avais la chance d’avoir certaines compétences commerciales et marketing pour trouver des solutions. Je pense aussi qu’il vaut mieux être bien entourée. Par exemple, une amie DAF m’a aidée à faire un super business plan. Malgré cela, j’ai eu beaucoup de mal à trouver une banque pour me faire un prêt de 290 000 euros. J’ai senti beaucoup de réticences de leur part : j’étais une femme, en reconversion, dans un métier d’hommes…cela faisait beaucoup de freins pour eux !

boulangerie-0202-41Je voulais trouver des locaux qui me convenaient, j’en ai visités pas mal. Et quand j’ai découvert celui dans le 16ème, avenue de Versailles, je me suis tout de suite projetée. Après pas mal d’obstacles, j’ai fini par signer un bail de 9 ans. J’ai ouvert « La mie des amis » en décembre 2010, il y a donc bientôt 6 ans !

Ensuite, il a fallu que je trouve les bons fournisseurs. Je tenais à avoir des matières premières de qualité. Ma farine par exemple vient de la minoterie Viron à Chartres (pour moi la farine de la Beauce est la meilleure !), mon chocolat de Valrhona, mon café d’Illy, mes produits laitiers du Jura, mon saumon est fumé au sel sec et vient d’un petit producteur de Boulogne sur mer …. Je pense que mon expertise en agro-alimentaire a fait la différence. Sinon, ce n’est pas forcément évident de bien choisir. Ma devise est « ce qui n’est pas bon pour moi n’est pas bon non plus pour mes clients ».

Au départ, j’avais choisi le statut SARL mais je me suis vite rendue compte qu’il ne me convenait pas très bien, j’ai donc évolué vers celui de SAS. En effet, en tant que gérant majoritaire de SARL, j’étais au RSI (Régime Social des Indépendants). Ce système que je ne gérais que pour moi fonctionne avec un décalage de 2 ans, et c’est beaucoup trop long et compliqué pour ma trésorerie. En plus, j’ai été salariée cadre pendant 15 ans auparavant. Pour ne plus avoir de contact avec le RSI, système très chronophage, j’ai opté pour la SAS (Société par action Simplifiée). Je suis maintenant présidente de SAS (et non plus gérante de SARL), je cotise aux même caisses que mes salariés (URSSAF, retraite, maladie,…) et surtout en même temps. Le niveau de charge est plus élevé mais le gain de temps et la simplicité, cela a un coût !!

 J’ai eu quelques difficultés aussi au début à bien évaluer toutes les charges, j’ai donc dû revoir mes prix un peu à la hausse si je voulais m’en sortir.

J’ai voulu que ma boulangerie soit également un lieu de vie, avec un caractère « bistrot » grâce à un coin bar et à une terrasse dehors. En plus de la boulangerie / pâtisserie, j’ai une offre traiteur assez développée : salades, sandwiches, plats chauds…Tout est fait maison. Nous accueillons pas mal d’étudiants à l’heure du déjeuner. La partie traiteur représente 40% de mon chiffre d’affaires.

A SELECT boulangerie-0338-86Aujourd’hui, j’emploie un boulanger (qui est là depuis 4 ans, un ancien légionnaire, très pro), une pâtissière, une vendeuse et un cuisinier. J’ai aussi 4 apprenties (à la vente, à la pâtisserie et à la boulangerie). Moi, je suis polyvalente et sert de variable d’ajustement, là où on a besoin de moi !  sans oublier tous les rendez-vous divers et variés (quand j’y étais, plusieurs personnes sont venues voir Estelle : le commercial en fèves est venu présenter ses produits, un fournisseur de limonade artisanale, une cliente pour avoir un morceau de pâte feuilletée, etc.)

Je me vois davantage comme une chef d’entreprise que comme une boulangère, même s’il m’arrive régulièrement de faire le pain car j’aime ça ! (pendant que nous faisions l’interview, Estelle a façonné des baguettes tradition, grâce à la pâte pétrie par son boulanger le matin, une activité très technique !). Mon rôle est de trouver des solutions, de nouveaux produits, de nouvelles idées. C’est important d’évoluer. Si tu n’investis pas régulièrement, tu recules…Là par exemple, je viens d’acheter une machine à chantilly, j’ai vu que les Fontainebleaux étaient à la mode dans les fromageries. Je me suis dit que cela serait intéressant d’en proposer.  Je me dois également d’être informée sur les actualités au niveau des impôts, du droit du travail…Pour cela, il y a des journaux professionnels.

Je travaille 6 jours sur 7, du lundi au samedi. En général, j’arrive vers 11 heures et je repars vers 20h30-21h. Je pense que c’est un peu comme un sacerdoce, une religion (moi qui suis athée!). Je ne considère pas que j’ai d’un côté une vie personnelle et de l’autre une vie professionnelle, j’ai une vie.

Ma plus belle reconnaissance : quand je reçois des compliments ! Pour l’ego, c’est agréable !

A SELECT boulangerie-0068-1Ce que je préfère dans mon métier, c’est le côté humain. Une boulangerie joue un rôle important dans un quartier. On apporte beaucoup de vie, surtout dans une grande ville comme Paris. J’ai remarqué que plus les villes étaient grandes, plus les gens se sentaient seuls. Chez nous, ils viennent parler, échanger. Par ailleurs, 2 fois par semaine, je donne des produits à la Croix-Rouge, je trouve cela important. J’organise également régulièrement des ateliers pain avec des enfants de maternelles du quartier. Je pense aussi qu’être une femme apporte une autre vision, une autre approche du métier que les hommes, peut-être plus créative, plus délicate.

Après, c’est sûr, c’est un métier fatigant (on travaille en sous-sol, il fait souvent très chaud avec les fours…). D’ailleurs, je dois faire attention à la fatigue physique. Mais mentalement, je me sens forte. Je ne m’ennuie jamais, j’aime profondément ce que je fais.

Ce qui me pèse le plus, c’est que je pourrais créer de l’emploi, embaucher d’autres personnes car je gagne régulièrement des clients, mon chiffre d’affaire est en plein croissance, mais je ne peux pas car les charges sont trop élevées et je ne peux pas augmenter davantage mes prix de vente. Par ailleurs, je trouve également qu’en tant que petit patron, tu n’as le droit à rien, sauf aux emmerdes ! Tu perds tous les avantages du salariat (chômage, retraite…) mais tu n’en gagnes aucun. Par exemple, le CICE, je n’y ai pas le droit alors ma rémunération se situe sous le plafond (2,5 fois le smic) mais comme je suis « patron », je ne rentre pas dans le dispositif. Je ne trouve pas cela normal !

Mais je ne regrette vraiment pas d’avoir complètement changé de mode de vie !

IMG_1574Boulangerie / Pâtisserie gourmande La mie des amis :

118 Avenue de Versailles – 75016 Paris , ouvert du lundi au samedi de 7h30 à 20h.

Les photos ont été réalisées par Marie Docher

3 thoughts on “Estelle, 45 ans, de cadre dans l’agro-alimentaire à la tête d’une boulangerie/pâtisserie

  1. haut les coeurs, Estelle, et merci pour ce riche résumé de ta profession (et de foi) ;

    je connais ton établissement et me promets bien d’y re venir en décembre

    bien affectueusement

      

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