Que deviennent-elles (ils) ?

Parcours au fil du temps : Lola

Toulouse CapitoleLola avait témoigné en janvier 2013 sous un angle bien particulier, celui du télétravail. Elle avait répondu favorablement à mon appel à témoignage sur ce sujet. En effet, cadre dans une grande entreprise internationale, Lola pratiquait le télétravail au moins 3 jours par semaine (elle était à 80%). Son témoignage avait d’ailleurs remporté un vif écho. A l’époque, elle vivait à Paris. J’ai su par quelques-uns de ses tweets qu’elle partait s’installer avec toute sa petite famille (son mari et leurs 4 enfants) à Toulouse. J’ai eu très envie d’en savoir plus sur ce changement complet de ville et de vie ! (pour rappel, j’ai vécu moi-même tantôt à Paris, tantôt en province, tantôt outremer et j’aime suivre ces mobilités !). Merci à elle d’avoir pris le temps de m’envoyer de ses nouvelles. Un témoignage très riche qui devrait, j’en suis sûre, intéressée plus d’un(e)… (n’est-ce pas Corinne ? 😉

Depuis votre dernier témoignage, comment votre situation personnelle et professionnelle a-t-elle évolué ?

Ma situation professionnelle a un peu évolué, le projet sur lequel je travaillais a encore grossi, il a été coupé en plusieurs morceaux, a impliqué des partenariats externes, je suis passée de responsable hiérarchique à chef de projet, ce qui fait que je n’ai plus à subir la pesanteur administrative de la gestion d’équipe que j’avais en horreur (le pire, l’époque des non-augmentations salariales, où les managers de proximité doivent relayer les messages corporate profondément vides de sens auxquels ils n’adhèrent pas du tout). Et par conséquent, je suis encore plus libre de mes horaires que je ne l’étais avant.

Ma situation personnelle a radicalement évolué, puisque mon mari et moi avons fait le choix de quitter la région parisienne pour nous installer à Toulouse.

Quand et comment s’est prise votre décision de quitter Paris et de partir en province ? Quelles ont été les réactions de votre entourage ?

Même si nous envisagions de longue date d’un jour aller dans le sud (y avoir une résidence secondaire…), la décision de partir a été prise sur un coup de tête : après 4 semaines ininterrompues de pluies à Paris, nous sommes arrivés en Corse le 7 juillet 2012 et lorsque nous avons été installés dans notre villa de vacances, à regarder le soleil se coucher, mon mari et moi nous sommes regardés et avons décidé que nous voulions des ciels de cette beauté pour tous les jours et pas seulement pour les vacances. Et notre rêve de construire une maison passive, à énergie positive même, n’était-ce pas le moment de le mettre en œuvre ? Le lendemain soir, nous convenions que le sud-est ne nous convenait pas (à part la Corse, mais inaccessible à des étrangers du continent comme nous) et que nous choisirions le sud-ouest. Comme les enfants auraient des études à faire, il nous fallait une grande ville, ce serait Toulouse. Encore une soirée sur Internet, nous avions regardé l’ensoleillement, les collèges, les écoles, la topologie de l’agglomération toulousaine, les offres de terrain à vendre… Le lendemain j’appelais une amie toulousaine pour lui annoncer que nous viendrions pendant les vacances de la Toussaint pour chercher un terrain. Le 2 novembre 2012 nous trouvions le terrain exposé sud qu’il nous fallait. En décembre le compromis était signé.

A partir de ce moment là, nous avons commencé à réellement réfléchir à ce que nous appelions « l’intendance » (et comme on le sait, « l’intendance suivra »), à savoir comment organiser nos vies professionnelles, le déménagement de la famille, le projet de construction.

Et au fur et à mesure où nous bâtissions nos plans, notre environnement s’effondrait… nous avons passé une année à surfer sur des vagues de changements…

Début 2013, mon mari et moi avions 2 postes de cadres supérieurs en région parisienne, sans réel équivalent en province, dans 2 grosses entreprises différentes. Mon entreprise avait un site (petit) à Toulouse, je pensais m’y faire localiser et m’en servir comme base arrière, mais la restructuration de mi-2013 a eu pour effet la décision de fermer ou vendre ce site. J’ai donc changé mes plans pour envisager de négocier un home-office (100% de télétravail). Mon mari savait que son entreprise était hostile sinon peu encline au télétravail, il se préparait à être dans les transports le lundi matin et le vendredi soir… et puis une énième restructuration a achevé de l’écœurer et il a négocié son départ pour se mettre à son compte : puisqu’il était fasciné par les maisons passives, il se reconvertirait là-dedans. Nous consultions un architecte pour un projet de construction clé en mains, nous sommes passés à un projet d’auto-construction qui permettrait à mon mari d’apprendre sur le tas tout ce dont il aurait besoin pour sa future entreprise de conception / construction de maisons passives.

Nous avons persévéré malgré tout, tous ces contretemps nous permettant de vérifier la solidité de notre projet de vie. A titre d’exemple, j’ai failli renoncer à l’époque du plan « moi à Toulouse, mon mari dans les avions entre Toulouse et Paris » parce que je n’avais aucune envie d’une vie de maman solo la semaine avec mari déconnecté qui revient le WE. Quand mon mari a quitté son poste qui n’autorisait pas le télétravail, notre projet a repris du sens…

Personne de notre entourage ne nous a réellement compris. Nous étions juste complètement fous. A tel point qu’aux personnes qui ne nous étaient pas proches, j’ai fini par dire que j’allais suivre mon conjoint qui était muté à Toulouse (et mon mari disait que c’était lui qui me suivait), histoire de rentrer dans les cases de normalité et ne plus choquer. Partir comme ça, sur un coup de tête, sans raison professionnelle ni familiale (nous n’allions pas du tout nous rapprocher de nos familles, au contraire), ce n’est pas logique. Quand les gens sont choqués, ils réagissent bizarrement. Et nous n’avions pas besoin de ça (par exemple pour négocier le prêt bancaire…).

Comment cela s’est-il passé concrètement pour toi et ton conjoint ?

Nous avons déménagé comme nous l’avions prévu, en juin 2014, pour nous aligner sur les gros changements de scolarité des enfants (septembre 2014 = une rentrée au collège, une rentrée en CP, une rentrée en maternelle). Nous n’avions pas d’autre critère pour choisir la date.

Pour moi, il y a eu une phase un peu compliquée jusqu’à ce que mon organisation finisse par accepter que je sois 100% en télétravail (au lieu d’au moins 1 jour par semaine sur site). Il aura fallu un changement de supérieur hiérarchique, le nouveau étant basé à l’étranger (donc que je sois sur le site de l’entreprise en région parisienne ou chez moi à Toulouse…) pour que je n’aie plus besoin de me déplacer (et encore, à ce moment-là, j’avais réussi à limiter les déplacements à 1 semaine par mois au lieu d’un jour par semaine). Je ne bouge maintenant que de façon exceptionnelle, quand les équipes (disséminées de par le monde) sont rassemblées pour un sujet précis, ça arrive en gros une fois par trimestre.

 Travailler de chez moi à Toulouse est clairement un luxe, la région est encore très orientée « présenciel », à l’ancienne. Je n’ai plus la solution de repli sur un site de mon entreprise, mais je sais qu’il existe quelques Tiers-lieux, si d’aventure je ne supportais plus d’être seule chez moi. Ce n’est pas le cas à ce jour, mes besoins de socialisation sont comblés par ma vie non-professionnelle : j’ai rapidement renoué un réseau de relations à l’école de mes plus jeunes (l’école primaire est super pour ça, au collège, les parents se croisent à peine), m’étant dès la rentrée proposée pour aider à l’association des parents d’élèves, et auprès de mes voisin(e)s. Je ne regarde donc pas les options de Tiers-lieux, d’autant moins que ça représente un budget conséquent et que nous sommes pour l’instant en mode de chasse aux coûts superflus. Je discute le matin à l’école, si j’ai besoin d’une pause café, je vais sonner chez une voisine (je suis entourée de personnes à la retraite). Le reste du temps, je vise plutôt à être super efficace dans mon boulot, parce que je sais que je m’arrête tôt (pour aller chercher la collégienne). Je travaille de 9h30 à 17h non stop, un peu de 17h30 à 18h30 et s’il le faut, après 20h30 quand les enfants sont couchés. Je suis repassée à temps plein à la fin de mon contrat de temps partiel (en juillet 2014), mais j’utilise des jours de congés pour libérer mes mercredis. Ma charge de travail est une charge de temps plein, personne ne contrôle mes horaires, la seule chose qui importe est que le travail soit fait. Quand j’aurai épuisé mes jours de congés, j’aimerais garder ce rythme, en organisant mon travail de façon à ce que tout rentre sur 4 jours (ou nuits). Petite anecdote, les mamans de l’école m’ont pensée au foyer jusqu’à récemment, elles ne m’imaginaient pas salariée avec ma liberté horaire. Je suis donc bien consciente de ma chance.

Pour mon mari, les choses ont été bien plus simples. Dès que nous avons eu trouvé notre maison de location sur Toulouse (en mai 2014), il est descendu pour démarrer le chantier. Depuis la fin du terrassement, il travaille tout seul, c’est lui qui fait le gros œuvre. Il s’est formé via des tutoriels trouvés sur Internet, il a aussi trouvé sur la toile des cours de CAP maçonnerie. Passer de directeur de branche (responsable de son P&L) à maçon est un virage peu commun, mais il n’a jamais été aussi heureux, ni aussi certain de donner du sens à ce qu’il fait (ce en quoi je l’envie). Tout va très lentement, mais il apprend beaucoup, il rencontre des gens, il réseaute de folie pendant qu’il construit et son activité professionnelle démarre tout doucement (il a signé son premier contrat en janvier 2015, pour une étude thermique de maison passive). Nous avions imaginé que rien ne vaudrait le réseau pour démarrer une activité, que toute prospection de client serait trop compliquée avant d’avoir de solides contacts, et pour cette raison avions fait le choix de construire notre maison d’abord et de lancer notre activité ensuite. Ce n’était pas si mal calculé. Le réseau se construit en même temps que la maison, via les gens du métier, les fournisseurs, un peu de Chambre du Commerce et de l’Industrie. Maintenant que notre maison sort (tout juste) de terre, nous allons peut-être réfléchir à des campagnes de promotion (visites / articles de presse) pour montrer ce que nous faisons : au moins y aura-t-il (enfin) quelque chose à voir. Je traine sur les blogs pour m’inspirer de ce que d’autres, dans d’autres régions ont fait… C’est amusant de noter comment tout a changé depuis l’époque de notre formation initiale (mon mari et moi sommes tous deux ingénieurs) : les MooC, webinars et tutos ont remplacé les cours magistraux, les blogs et Facebook sont les nouvelles cartes de visite…

Comment s’est passée votre installation en province ? Le plus agréable ? Le plus dur ? Les bonnes surprises ? Les déconvenues ?

Nous avions prévu un temps d’adaptation un peu compliqué pour les enfants, le temps qu’ils trouvent leurs marques, autant à l’école que dans leurs activités extra-scolaires. Evidemment, ce sont les enfants pour lesquels nous anticipions des difficultés qui n’en ont pas eu, et vice versa. Mais de façon générale, les enfants se sont trouvés bien dans leur nouvelle vie très rapidement.

Le gros point noir, une fois le tsunami « septembre » passé, c’est resté la maison de location. Nous avions choisi une petite maison pour notre installation temporaire (seulement 100m² garage inclus au lieu des 150m² + 25m² que nous avions en région parisienne), et nous n’avions pas prévu que ça serait aussi pesant au quotidien. Enfin, surtout pour moi et l’un de mes enfants (mon fils le plus sensible). Je ne supporte plus cette maison où je ne me sens pas chez moi, à l’étroit, avec une partie de mes affaires entassée dans des cartons inaccessibles. Où je ne peux inviter presque personne parce que ça ne rentre pas, où je ne peux pas recevoir à dormir alors que ça nous arrivait souvent avant. Arriver à nous caser à 6 dans cette petite maison idéale pour 4 nous a pris 5 bons mois. Et alors que nous commencions tout juste à respirer, nous venons d’apprendre le retour des propriétaires, ce qui veut dire déménager pour une autre maison temporaire avant que la nôtre ne soit finie, dans un an. Franchement, je commence à toucher le fond de mes réserves d’énergie pour trouver encore la force de positiver (prendre une maison plus grande ? mieux située ? profiter de ce nouveau déménagement pour faire un vrai tri dans les cartons ?).

Difficile aussi, le fait de passer d’une situation avec femme de ménage + nounou à une situation où nous sommes sans aide extérieure (contraintes budgétaires obligent). Bref, on a beau avoir su à l’avance que ça ne serait pas facile, le vivre au quotidien, c’est pénible. Nous avons beaucoup tâtonné pour arriver à nous organiser, autant pour le ménage que pour faire le taxi pour les enfants. Au final, ce qui marche, c’est de beaucoup autonomiser et responsabiliser les enfants, même s’ils sont encore petits (entre 4 et 11 ans). Ils restent de plus en plus seuls à la maison (quand il faut en conduire un ici ou là), ils jouent dehors devant la maison (c’est une impasse) après l’école quand je travaille encore un peu, ils prennent une part non négligeable du ménage hebdomadaire…

Nous avons aussi dû apprendre à gérer la logistique un peu différemment : finie l’improvisation des courses du dimanche, fini le réveil tardif pour renouveler les lentilles / lunettes (2 mois et ½ de délai minimum pour un ophtalmo)… ce n’est pas insurmontable, il faut juste le savoir… et y penser.

Le plus agréable (mais prévu), c’est le climat. La luminosité, le bleu vraiment bleu du ciel, la pluie qui ne dure pas… même les enfants sentent la différence.

Les bonnes surprises (non prévues donc), c’est l’effet sur notre santé d’un air moins pollué qu’en région parisienne. Je ne m’y attendais pas du tout, mais je n’ai pas été malade de cet hiver (qui touche à sa fin, en tout cas ici J) alors que je trainais 2 à 3 trachéites par saison froide depuis 16 ans. Et nous sommes émerveillés au quotidien par la gentillesse des gens ici. Je ne trouvais pas les Franciliens aussi désagréables qu’il est d’usage de les caricaturer, bien au contraire, mais je dois reconnaître que la capacité d’offrir spontanément ses services, essayer d’arranger les choses, simplement deviser des gens d’ici n’a rien à voir avec ce que je trouvais normal auparavant.

Et d’ici 1 ou 2 ans, comment vous projetez-vous ? Quelle articulation vie privée / vie pro aimeriez-vous bien atteindre ? Avez-vous des projets précis ?

Dans 1 ou 2 ans, nous ne serons plus en location, nous vivrons (enfin) dans notre maison à nous, telle que rêvée et lentement construite, la pression financière commencera à s’alléger (loyer en moins et plus de temps consacré à l’activité professionnelle de mon mari). Dès que nos moyens le permettront à nouveau, nous reprendrons une aide ménagère. On commencera à se rapprocher de notre projet de vie tel que nous l’avions conçu : une grande et belle maison (avec piscine) dans une magnifique région pour nous servir de base arrière et nous promener dans le coin, pour recevoir des amis.

Je n’ai pas (plus ?) trop d’ambition par rapport à mon poste, les rêves professionnels que je fais sont plus souvent liés à ce que je pourrais donner pour développer l’activité de mon mari (qui deviendrait la nôtre). Forcément, entre l’entreprise qui m’emploie et celle que nous créons de nos mains, que nous pourrions transmettre à nos enfants, mon cœur ne balance pas.

One thought on “Parcours au fil du temps : Lola

  1. Un très beau projet et changement de vie ! je suis admirative de la force de Lola et sa famille et leur souhaite de réussir à passer le cap des désagréments sans trop de dégâts ! ce qui arrive au bout de chemin en vaut la peine…

      

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *