Après avoir interrogé Nathalie sur son métier de libraire et Naddie, clerc, future huissier de justice, voici un troisième portrait avec Bertrand, professeur de mathématiques en milieu spécialisé.
Qu’est-ce qui vous a amené à devenir professeur ?
Je viens d’une famille d’enseignants. Devenir professeur était un vrai désir. J’ai passé une licence de maths puis réussi le Capes de mathématiques. Pendant 5 ans, j’ai enseigné dans un collège défavorisé, à Gennevilliers, puis 5 autres années dans un collège très privilégié cette fois-ci, dans le Marais à Paris. Les 5 premières années furent difficiles et passionnantes, mais nous étions très soudés entre collègues et les élèves étaient attachants, même s’il y avait beaucoup de tensions et de violence alors que dans le Marais, l’ambiance était beaucoup moins bonne, voire mauvaise entre collègues (souvent à quelques années de la retraite) et j’avais l’impression que les élèves avaient moins besoin de nous.
C’est alors j’ai entendu parler par un ami d’un poste qui se libérait dans une clinique médicale et pédagogique, gérée par la Fondation Santé des Etudiants de France. Cet établissement est rattaché administrativement au lycée Claude Bernard et accueille des adolescents (collégiens et lycéens) pour des pathologies diverses et de gravité variable. Ils sont scolarisés pendant leur séjour et suivent les programmes officiels. Comme dans tout établissement scolaire, sont organisés les examens, les conseils de classe, les rencontres parents-professeurs, etc. En revanche, ils ne sont que 12-15 par classe (maximum) car forcément l’organisation est plus difficile. Ce sont des adolescents qui sont souvent déprimés et qui rencontrent des problèmes psychologiques parfois lourds en plus de leurs maladies. Ils ont des difficultés à faire des projets de vie en raison de leurs pathologies. Par exemple, des diabétiques qui ont beaucoup de mal à gérer leur maladie.
La scolarisation fait partie des soins. On estime que c’est bon pour leur moral d’être scolarisés comme les autres adolescents. Cela les relie aux autres, et la normalisation est quelque chose de fondamental à cet âge là.
Je travaille dans cet établissement depuis maintenant 10 ans (aujourd’hui, un professeur ne peut y rester que 7 ans maximum). Nous disposons de bonnes conditions de travail et l’équipe pédagogique est très soudée (30 professeurs, 1 proviseur, 1 conseillère d’éducation). Par ailleurs, nous bénéficions des mêmes formations et des mêmes stages que les enseignants « classiques ». Au bout de quelques années, j’ai passé un module complémentaire Handicap /maladie en suivant 6 semaines de stages. J’ai également obtenu un DU (diplôme universitaire) intitulé « Adolescents difficiles, approche psychopathologique et éducative » Cette formation d’un an validée par un mémoire m’a été très précieuse.
Que représentent les mathématiques pour vous ? Qu’essayez-vous de transmettre à vos élèves ? Comment voyez-vous l’évolution de l’enseignement des maths depuis que vous avez commencé à enseigner ?
J’ai la conviction que les mathématiques rendent plus intelligent. Cela développe chez nous des capacités d’adaptation importantes. Et c’est aussi un outil indispensable pour comprendre le monde qui nous entoure.
Le niveau de maths exigé au niveau du Bac a bien sûr baissé depuis 30 ans. La sélection se fait désormais après le lycée. Cela ne me parait pas bien dramatique. Je suis en revanche plus alarmé par le désintérêt des carrières scientifiques chez les jeunes depuis quelques années.
Pouvez-vous nous décrire vos journées ?
Les cours débutent à 9h30 car avant les adolescents reçoivent des soins. Pendant les cours, je dois souvent gérer des situations compliquées : un élève migraineux ou en hypoglycémie. D’autre part, il faut être capable de s’adapter sans cesse car certains élèves ne restent parfois que quelques semaines (d’autres peuvent rester 1 an, voire plus). Par exemple, en ce moment, je travaille sur 5 chapitres différents avec 5 élèves de Terminale S dans la même salle… Je donne 19 heures de cours par semaine (une heure de plus en raison des faibles effectifs).
Quelles valeurs associez-vous à votre activité professionnelle ?
En tant qu’enseignant de mathématiques, je cherche à transmettre une culture scientifique et une capacité de raisonnement.
A côté de cette transmission de connaissances, je considère que j’ai un rôle de soutien psychologique très important. Nos élèves sont souvent confrontés à des maladies envahissantes et même s’ils sont là pour des problèmes somatiques, il n’est pas rare qu’ils aient également des difficultés relevant presque de la psychiatrie. Nous sommes là pour les accompagner et leur redonner espoir.
Quels sont les plus et les moins de votre métier?
J’aime beaucoup le contact avec les adolescents, les rencontres. J’ai appris à avoir un certain recul par rapport à ce qu’ils vivent. Bien sûr, j’ai de la peine lorsque je les vois souffrir et je m’attache à eux mais j’ai compris que je n’étais ni magicien ni tout puissant. Parfois, c’est dur car nous sommes confrontés à la mort de certains jeunes patients. Quoi qu’il en soit, il me semblerait aujourd’hui impensable de retourner en milieu ordinaire.
Ce qui est peut-être le plus frustrant, c’est qu’il existe peu d’autres structures identiques à celles où j’exerce. S’il y a pas mal d’hôpitaux pour enfants qui ont leurs propres professeurs des écoles, les structures qui proposent de scolariser les adolescents sont beaucoup trop rares.
A côté de ce métier « principal », vous vous êtes lancé il y a 18 mois dans un autre projet ?
Effectivement, je me suis lancé dans un autre métier passionnant, à travers le site Les Bons Profs, entraîné par des amis. Je suis le directeur pédagogique de ce site qui propose une alternative en ligne aux cours particuliers. On y trouve des ressources gratuites (cours, exercices) et un suivi personnalisé payant. Nous encadrons beaucoup nos élèves et promettons aux parents une heure de travail par semaine minimum. J’ai découvert des choses totalement nouvelles pour moi : les métiers de l’édition, de la vidéo, les relations avec les journalistes, la communication…
Les cours particuliers ont toujours existé. Certes, ce genre de « béquilles » se développent et sont un complément au travail fait par les professeurs de l’Education nationale. Je considère que celle-ci fonctionne à peu près correctement pour 80% des élèves, mais ne sait pas toujours bien faire avec les 10% les plus faibles et les 10% les plus brillants ou les précoces. Aller en classe doit rester la priorité absolue. Dans un monde parfait, lesbonsprofs.com n’existerait pas…mais ce n’est pas le cas !
Je suis passionné par ce que je fais, et à 42 ans, je n’ai jamais autant travaillé de ma vie, le jour et une partie de la nuit mais je me régale ! Travailler quand c’est plaisant, est beaucoup moins pénible. J’ai le sentiment d’être privilégié. Je crois aussi que réussir à garder une dynamique de formation au fil des années est très important. Ce projet m’a beaucoup dynamisé.
En terme de conciliation vie privée / vie pro, diriez-vous que le métier d’enseignant est plutôt favorable ou pas ?
Oui, être professeur permet de bien concilier vie privée et vie pro. Bien sûr, cela change pas mal en fonction du lieu où vous exercez. D’autre part, je connais aussi des collègues qui se laissent envahir par leur métier, en travaillant 50 à 60 heures par semaine. Personnellement, j’utilise beaucoup les ressources existantes en ligne pour mes cours et les exercices et je préfère consacrer du temps avec mes élèves.
Enfin, c’est parce que j’avais du temps libre en tant qu’enseignant que j’ai pu me lancer dans ce 2ème métier. Je conseille d’ailleurs fortement à mes collègues de ne pas hésiter à se lancer dans une aventure similaire si l’opportunité se présentait.
Félicitations et Admiration
Galliot monique
La passion est la clef de cette réussite.
Bravo
Léger David