Lu pour vous

En aparté a lu « Le pacte immoral » de Sophie Coignard

Ceux et celles qui me lisent régulièrement savent que les débats autour de l’Education nationale m’intéressent beaucoup. J’ai déjà exprimé à plusieurs reprises mes inquiétudes concernant l’école, notamment dans ce billet.

Lorsque j’ai appris la sortie du livre de Sophie Coignard sur l’Education nationale, je me suis dit qu’il fallait que je le lise. Par curiosité, par envie de comprendre pourquoi les choses allaient mal alors que depuis des décennies on entend dans la bouche de tous les hommes politiques que l’Education nationale est une priorité absolue. Je n’ai pas été déçue ! Il permet de mieux comprendre comment fonctionne l’Education nationale au plus haut niveau.

Pour information, Sophie Coignard est grand reporter au magazine le Point et elle a écrit différents essais sur les francs-maçons, la mafia, l’histoire secrète des réseaux…

« Le pacte immoral » (sous-titré Comment ils sacrifient l’éducation de nos enfants) est une enquête sur les dysfonctionnements du ministère de l’Education nationale, ses relations avec l’Inspection générale de l’Education nationale, les réformes nombreuses mais rarement appliquées (ou partiellement), l’évolution du niveau scolaire en France, etc. Pour mener à bien cette enquête, elle a rencontré les anciens ministres de l’Education nationale (enfin, ceux qui ont bien voulu la rencontrer…), des inspecteurs d’académie, des professeurs, des syndicalistes, etc.

Selon elle, « un pacte immoral » a été conclu entre le milieu politique et un ensemble de personnes composé de théoriciens de la pédagogie moderne, de syndicalistes, de hauts fonctionnaires, d’inspecteurs qui ont voulu réformer l’école dans le sillage de mai 68. Elles estiment que les politiques (à quelques exceptions près) se sont désinvestis, droite et gauche confondus. Elle parle de lâcheté et de renoncement, de démission et d’hypocrisie, de mensonges et de maquillage. Elle explique que si les élites restent relativement indifférentes face à ce naufrage, c’est que leurs enfants en sont exempts. Soit parce qu’ils sont scolarisés dans les bons lycées publics de centre ville, soit dans une dizaine d’écoles privées parisiennes. 

Elle montre qu’au sein de l’Education nationale deux camps s’affrontent, se détestent. D’un côté, (et pour simplifier) celui des « républicains » et de l’autre les « pédagogistes » (parfois appelés aussi les « progressistes »). Vous l’aurez compris, je penche nettement du côté des républicains. Mais surtout au-delà du vocabulaire, il me semble qu’il devrait y avoir beaucoup moins d’idéologie au sein de l’Education nationale et beaucoup plus de bon sens. 

Etudes à  l’appui, elle démontre la baisse du niveau, la montée de l’illettrisme, le rabotage sur les heures de cours ou sur la formation des professeurs, la dilution des apprentissages des savoirs fondamentaux, les réformes (aberrantes selon elle) des programmes de français. Elle rappelle qu’à un moment il a été décidé de ne plus imposer aux élèves des dictées ou l’apprentissage des tables de multiplication, elle évoque l’abandon des notes. Même si dans les faits certains professeurs des écoles ont résisté.

Et surtout, elle montre que le système alors qu’il visait à davantage d’égalitarisme, est devenu de plus en plus inéquitable et inégalitaire. Et que les écoles privées sont de plus en plus demandées…

Elle décrypte les actions des différents ministères, les réformes non abouties, incessantes, pas appliquées, tronquées, décidées par Bercy et non pour le bien de l’Education nationale, etc. Elle raconte la façon dont les tenants de la pédagogie moderne ont majoritairement « trusté » les postes clés au sein de l’Education nationale, le fonctionnement des IUFM, la toute-puissance des inspecteurs d’académie, l’impuissance des ministres, etc.

Elle conclut en disant que pour améliorer les choses, il faudrait du courage politique (et arrêter de changer de ministre tous les 18 mois par exemple) – or à l’heure actuelle « cette volonté politique est faible, diffuse et inconstante » – et arrêter la communication cosmétique (par exemple la dernière annonce de Luc Chatel concernant l’apprentissage de l’anglais aux enfants de 3 ans).

Même si certains passages sur les ficelles politiques, voire politiciennes, m’ont paru un peu obscurs, même si je ne suis pas en mesure d’affirmer que tout ce qu’elle dénonce est vrai/objectif, je peux en revanche confirmer ce sentiment de nivellement par le bas, d’aggravation des inégalités entre les enfants dont les parents sont (ou peuvent être) derrière et les autres, de méthodes pédagogiques un peu fumeuses, d’une baisse de l’exigence, etc.    

■ En savoir plus 

– Une interview filmée de Sophie Coignard (si le lien ne marche pas, le voici en entier : http://www.youtube.com/watch?v=rDoh450czyw)

– Une interview intitulée Les politiques ont abandonné l’éducation nationale

– Une interview dans Le Télégramme intitulé « Un gâchis terrible »

– Le dossier du Point, « Comment ils massacrent l’école« 

Edit du 30 mars

– Sophie Coignard était invitée à l’émission de Ruquier le 26 mars. Voici le lien pour écouter son intervention : http://www.dailymotion.com/video/xhty4w_coignard-vs-zemmour-naulleau-l-education-itw-onpc-260311-ruquier_news

12 thoughts on “En aparté a lu « Le pacte immoral » de Sophie Coignard

  1. Déprimant. Je ne m’en rendais pas compte, ou alors je fermais les yeux… avant d’avoir mes enfants scolarisés… pourtant encore qu’en maternelle, je touche du doigt les difficultés qui
    s’annoncent… le choix de l’école, le suivi de la scolarité, comment faire pour qu’ils réussissent… c’est un gouffre pour moi, je vais apprendre sur le tard, et faire de mon mieux pour palier
    à ce nivellement par le bas !

      

  2. @ E-Zabel : je t’avoue que moi aussi j’ai pris progressivement conscience des problèmes de l’Education nationale avec la scolarité de mes enfants (l’aînée
    est en CM2, elle a été scolarisée dans différentes écoles publiques). Et malheureusement je ne peux que constater les lacunes, la baisse de l’exigence…Pourtant, certaines institutrices (ou
    instituteurs) sont de bonne volonté. 

    Je me suis aussi rendue compte que la présence et le soutien des parents devenaient essentiels. D’où forcément augmentation des inégalités. En classe, par
    manque de temps ou en raison de méthodes pédagogiques parfois bien étranges, de nombreux enseignements ne sont que survolés. Je pense que pour les enfants qui ont des facilités, qui pigent vite,
    cela peut aller mais pour ceux qui ont besoin de plus de temps pour assimiler les choses, cela se complique…
    Bon, je m’arrête là car sinon, je peux être intarissable…

      

  3. Bonjour Gaëlle, Je viens de découvrir votre blog et j’aime ++

    Je n’ai pas lu « Le pacte immoral » mais j’en connais suffisamment sur la question… malheureusement… pour ne pas y ajouter une « livre » de masochisme inutile.

    Ceci étant, à ce que j’ai pu en déduire de votre résumé, je ne partage pas l’idée d’un fiasco dû à la seule responsabilité d’une horde de loups dominants, avides de
    pouvoir, de pseudo-postérité et champions des magouilles et de l’omerta. Les acteurs du quotidien, instits, profs, directeurs et adjoints, qu’ils relèvent du Privé ou du
    Public, collaborent avec zèle à ce triste constat d’échec. En effet, étonnament plus leur aura sociale s’est étiolée, plus ils ont adhéré au discours de plus en plus hermétique de leurs
    didactitiens. Une façon comme une autre de « sauver la face ». Confère la préface de la méthode de Boscher et celle, plus récente, de la méthode globale de Decroly ou semi-globale type
    « Ratus »… édifiant !

    A mesure que disparaissaient les racines d’un savoir populaire, grandissait l’irresponsabilité de « pédagogues » Bac + 5 ou 6, complices du déraisonnable (ex. quasi absence
    de notions de pédagogie scolaire)  pour un mirage de réussite sociale.

    Démocrite, Vème avant JC, philosophe, physicien et mathématicien : « Sage est celui qui ne s’afflige pas de ce qui lui manque et se satisfait de ce qu’il possède » – Socrate (Vème avant
    JC) : « la sagesse commence dans l’émerveillement ». Mais comment s’émerveiller des compétences aussi magiques que mystérieuses d’enfants et d’ados (naturellement curieux
    quand on leur en donne les moyens) lorsqu’on fuit ses responsabilités de cadres contenants pour idéaliser des élèves « objets » au service d’une reconnaissance sociale elle aussi
    idéalisée et/ou d’une politique à peine camouflée du « que le meilleur gagne ». Politique que l’on retrouve dans l’enseignement supérieur et qui, là, sert d’alibi à
    des intervenants paraît-il blasés. Faux-semblants d’une déresponsabilisation du pouvoir qu’ils ont « choisi » et qu’il justifie par ce genre d’incohérence « si on ose leur dire quelque
    chose on ne pourra plus faire cours, ce sera pire ». Sans commentaire…

    Merci encore pour votre blog. A bientôt pour vous lire à nouveau

    Chantal

     

      

  4. @ Chantal : tout d’abord bienvenue ici et merci beaucoup pour vos encouragements !

    Par rapport à votre remarque sur l’origine du fiasco, il me semble que Sophie Coignard dénonce davantage la lâcheté, les compromissions, la
    démission des pouvoirs politiques qu’une lutte pour le pouvoir.  Pour résumer, ils ont délégué le pouvoir aux pédagogistes. Qui ont fait les dégâts que l’on
    connaît. 

    Je pense sincèrement que les nouvelles pédagogies (exemple : fin de la grammaire classique au profit de « l’obervation réfléchie de la langue »
    (sic) , les nouveaux programmes (souvent ineptes), la dilution de la transmission des savoirs fondamentaux, la diminution des horaires consacrés au français et aux mathématiques au
    profit d’activités artistiques, culturelles, citoyennes, etc. sont en grande partie responsables de la baisse du niveau scolaire et de la montée de l’illettrisme. D’autres éléments sont également
    importants : la démission ou l’impuissance de certains parents (Daniel Picouly, lui-même, avouait lors de l’émission de Ruquier où était invitée Sophie Coignard le 26 mars, ne pas pouvoir
    aider sa fille en classe de 4ème à faire ses devoirs de français !!!), les lacunes de la formation ou du recrutement des professeurs, etc.

    Dernier exemple en date qui me vient à l’esprit de « bouillie pédagogique » : le sacro-saint livret de compétences…un truc très obscur et tout
    à fait inopérant pour les parents (enfin pour moi). Avec celui-ci, ma fille a des A (comme acquis) à des dictées où elle a fait 5 ou 6 fautes. Comment lui expliquer après que « non, ma fille, ce
    n’est pas très bon » et que cela mériterait de refaire la dictée (ou du moins de retravailler avec elle les fautes).

    Ou encore l’apprentissage de l’histoire où elle passe allégrement du période à l’autre sans aucune transition, sans chronologie logique. Résultat : je viens
    de lui acheter un livre d’histoire et je reprends avec elle tout depuis l’antiquité. Mais je m’interroge : est-ce normal d’en arriver là ????

    En tout cas, en tant que parent, j’avoue être bien désorientée et inquiète…

    N’hésitez pas à intervenir de nouveau ! Vous êtes la bienvenue !

      

  5. Est ce que ça vaut le coup de lire le livre si on connait déjà le débat (Brighelli, Polony contre Meirieu et Frackowiak, …) ? J’ai l’impression que le sujet tourne en rond depuis un bon moment,
    sur le mode « dialogue de sourds ».

    J’ai bien aimé le commentaire de Picouly, effectivement je pense que le bouquin que j’achèterais immédiatement est un bon manuel de cette fameuse « grammaire de texte »

     

      

  6. @ Nathalie : tu as raison pour les personnes déjà bien au fait de toutes ces questions et qui lisent régulièrement les blogs que tu cites, ce livre peut
    sembler une redite. Cependant, davantage qu’une dénonciation de maux pédagogiques actuels (abordés dans son livre mais pas en profondeur), Sophie Coignard a voulu comprendre comment cela se
    passait aux plus hauts niveaux de l’Education nationale, comment se faisaient (ou pas) les réformes, qui les mettaient en oeuvre, la façon dont des réformes strictement budgétaires étaient faites
    sous couvert de réformes pédagogiques salutaires.  Elle décortique bien certains mécanismes et enjeux (ex : redoublement, carte scolaire, classements, etc.) Disons que cela est
    intéressant de rentrer un peu dans ces hautes sphères., de comprendre un peu mieux le fonctionnement du Ministère de l’Education nationale…Personnellement, j’ai lu son livre avec beaucoup
    de curiosité et de soif de comprendre. Le côté enquête m’a bien plu. Mais j’imagine que certaines personnes déjà bien informées ou évoluant dans l’EN n’y apprendront pas forcément beaucoup
    de choses.

      

  7. Et voilà … à cause de toi, je l’ai acheté. Suis en train de le lire.

    Pfiou ! Après « on achève bien les écoliers », ça m’achève moi 🙁

      

  8. @ Kaliuccia : si tu as un petit moment, reviens nous dire ce que tu en as pensé lorsque tu auras finin, cela me ferait plaisir d’avoir  un autre
    avis que le mien  ! en tout cas, cela est une bonne façon d’occuper tes soirées sans Rahan et entre deux conversations de la Boudeuse et de Timousse, non ?

      

  9. Tu prèches une convaincue! Et j’ai bondis sur mon canapé en entendant lors de l’émission de Ruquier que de changer les termes (en grammaire en l’occurence, comme avec les « adjuvants ») c’est pour
    promouvoir l’égalité des chances parce qu’ainsi les parents « intelectuellement favorisés » ne pourront plus aider leurs enfants! 

      

  10.  @ Mamancrevette : merci pour ton passage ! moi aussi je bondis . Et
    derrière, je « rame » pour expliquer à mes enfants l’importance de l’analyse grammaticale…

      

  11. @Mamancrevette

    la réforme du français n’a eu pour motivation que de mieux correspondre aux résultats de la recherche en linguistique (on peut ensuite discuter du fait que ce soit une bonne chose ou pas), le
    fait que les parents ne suivent pas n’est qu’une conséquence non prévue.

    par contre si on propose aux schtroumphs d’apprendre le chinois, tout le monde semble content (sans argumentaire plus poussé d’ailleurs), bien que là aussi les capacités des parents à suivre les
    devoirs à la maison soit mise à mal

     

      

  12. Pour occuper mes soirées sans Rahan, j’ai le dernier de Stephen King …. le week-end, je me détends avec « mères indignes » et il me reste le 7 à 8 pour lire ce livre là … sauf qu’en ce moment,
    je n’ai pas de 7 à 8 … donc, juré, je reviens en parler dès que je l’ai terminé.

      

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