Autour du travail

La porosité des temps pro et perso : contrainte ou liberté ?

Au gré de mes promenades sur le net, je suis tombée sur une thèse de doctorat extrêmement intéressante rédigée par Emilie Génin, intitulée « La porosité des temps chez les cadres : proposition d’un modèle d’interactions entre temps personnel et temps professionnel« . Bien sûr, c’est un pavé (446 pages), bien sûr, je ne l’ai pas lue en entier attentivement. Cependant, je me suis attardée avec plaisir sur certains passages. Le style est très sérieux et le texte est rempli de références savantes mais dans l’ensemble (j’ai un peu zappé par exemple toutes les parties statistiques !), c’est fluide et compréhensible au non-doctorant ! 

Entrons maintenant dans le vif du sujet ! Emilie Génin montre que la porosité des temps (qui correspond au phénomène de superposition, d’interférences entre les temporalités personnelles et professionnelles, autrement dit le brouillage des frontières entre vie perso et vie pro) est un phénomène complexe et composite. Selon elle, la porosité des temps chez les cadres est à la fois :

un phénomène bidirectionnel : c’est-à-dire d’une part l’interférence des activités liées au travail sur les activités liées au hors travail ; et d’autre part, l’interférence des activités liées au hors travail sur les activités liées au travail.

un phénomène aux formes et aux fréquences diverses  : le télétravail formel, l’astreinte, les déjeuners ou dîners d’affaire, les déplacements professionnels de plus d’une journée, le travail en mobilité (à l’hôtel, dans les transports…), le travail à domicile ou sur son lieu de vacances, la consultation et l’envoi d’emails professionnels le soir, le week-end et pendant les congés, le travail pendant la pause déjeuner, les départs ou retours de déplacements professionnels le week-end, les communications ou l’utilisation d’internet à des fins personnelles sur le lieu de travail, le fait de s’absenter quelques heures du lieu de travail pour raisons personnelles, réfléchir à son travail le soir, le WE ou pendant ses vacances ou réfléchir à des questions personnelles au travail à des questions de travail, etc.

un phénomène aux objectifs/significations multiples : une façon de réduire le temps de présence au bureau, de terminer chez soi ce que l’on a pas eu le temps (ou l’envie) de finir au travail, de se libérer ponctuellement face à un imprévu personnel (enfant malade par exemple), mais aussi de régler ses problèmes persos pendant les heures de bureau…

trois principaux groupes de variables qui peuvent expliquer et influencer ce phénomène et dont elle a ensuite voulu vérifier la validité en menant une enquête à la fois qualitative et quantitative (31 entretiens et 150 questionnaires) : 1) l’environnement de travail (normes sociales, attitudes et comportements du groupe de travail, caractéristiques du poste occupé), 2) le rapport au travail (rapport à la carrière, ambition, implication dans le travail et dans l’organisation, attitude face à la porosité des temps), 3) les ajustements entre travail et hors travail (situation personnelle et familiale, tensions entre travail et hors travail, responsabilités hors travail, implication dans la famille, l’appui du conjoint ou de membres de la famille).

Elle montre bien que selon les cadres et le genre (homme ou femme donc !), la porosité peut être tantôt vécue comme une contrainte tantôt comme un mode d’autonomie librement choisi (une bouffée d’air). Bien sûr, elle est le plus souvent vécue de façon équivoque et diversifiée. 

Elle indique également que la porosité des temps est un phénomène largement sexué (mais pas forcément de la façon dont on l’imagine, je vous invite à lire p. 321 et suivantes sur ce sujet précis car tout y est très bien expliqué !). »La fréquence de ces types de porosité des temps et leurs déterminants diffèrent chez les hommes et chez les femmes cadres » écrit-elle.

Pour aller plus loin (parce que forcément, en résumant une thèse de 446 pages en 1 billet, j’ai oublié de dire plein de choses importantes !! – et d’ailleurs je me demande si je ne vais pas lui demander prochainement une interview……. alors si vous avez des questions à lui poser, n’hésitez pas !)

sa thèse en ligne

un article sur elle intéressant et synthétique où Emilie Genin évoque la question de la conciliation vie privée / vie professionnelle et où elle dit notamment que ce qui va influer sur la conciliation, « ce sont davantage les difficultés ressenties que les facteurs directs comme le nombre d’enfants ».

7 thoughts on “La porosité des temps pro et perso : contrainte ou liberté ?

  1. Beaucoup, beaucoup de porosité chez moi … d’ailleurs, je suis au boulot en train de faire le tour de la blogosphére et je rentrerais surement chez moi avec mon PC pour traiter mes mails ce
    soir.

    C’est ainsi !

      

  2. @ Isa : merci pour ton commentaire. Je comprends parfaitement ce que tu dis, jonglant également beaucoup d’un univers à un autre. Par curiosité, lorsque tu
    écris « c’est ainsi ! », c’est plutôt positif ou négatif, volontaire ou subie, selon toi, cette porosité ?

      

  3. Disons qu’on peut faire la nuance entre porosité choisie et subie… Et que l’une est forcément plus acceptable que l’autre ! Je pense que la porosité est incontournable avec le développement du
    télétravail. Reste ensuite à chacun de trouver son équilibre pour que le travail n’envahisse pas sa sphère privée…!

      

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