Autour du travail

Le numérique brouille la frontière vie pro / vie perso

40773_blackberry-smartphone-emploiFrance Culture a consacré samedi dernier avec Rue 89 une émission sur la façon dont le numérique « perturbe » la frontière vie professionnelle et vie privée. Cela m’a fait penser au billet « La porosité des temps pro et perso : contrainte ou liberté ? » que j’avais écrit en septembre 2010, plus que jamais d’actualité (oui, je me lance des fleurs !).

Une étude du Conseil d’Analyse Stratégique (CAS) vient également de paraître intitulée « L’impact des TIC sur les conditions de travail » (lire notamment le chapitre 7, Le rôle des TIC dans les reconfigurations des espaces et des temporalités : le brouillage des frontières entre travail et hors-travail, page 173). Citons également celle réalisée par Harris Interactive en février 2013 sur « Le regard des Françaises sur l’économie numérique et la parité« , dans laquelle, 73% des femmes actives soulignent que les équipements  numériques peuvent amener à travailler encore davantage et brouillent la frontière entre vie privée et vie professionnelle.

Cette interpénétration entre sphère professionnelle et sphère personnelle a considérablement augmenté avec le développement des smartphones, ordinateurs portables, etc. Précisons tout de suite qu’elle est à double sens : le monde professionnel s’invite dans la sphère privée (on lit ses mails pros dès le petit déjeuner ou en vacances, on travaille sur un dossier le soir sur son ordinateur car on est au calme, à l’abri des sollicitations permanentes, on passe un coup de fil pro le soir , etc.) et la sphère personnelle s’est introduite dans l’entreprise (lire à ce sujet l’anthropologue Stefana Broadbent qui s’est penchée sur cette question notamment dans son ouvrage L’intimité au travail) : appels personnels passés du bureau, consultation d’internet pour un usage privé (réserver ses vacances, regarder Facebook, etc.).

Cet usage du numérique en continu, à la fois pour le professionnel et le personnel, est-il une servitude volontaire ou une contrainte imposée ? La question est posée et loin d’être résolue !

Cette invasion des outils numériques perturbe-t-elle le travail, la vie personnelle, la vie familiale  ? Ou au contraire, la facilite-t-elle ? Permet-elle de rendre plus faciles les transitions entre la vie pro et la vie perso ou les rend-elles plus compliquées, plus factices ? Participent-il à un sentiment de meilleure conciliation vie privée / vie pro ou à un sentiment de débordement et de plus grande difficulté à concilier les sphères de vie ? Autant de questions que chacun(e) d’entre nous se pose…

Cette continuité entre vie pro et vie perso est-elle positive ou néfaste ? Poussée à  l’extrême, ne peut-elle pas entraîner des troubles du comportement, voire un risque de burn out ?

Si les cadres sont davantage concernés (et depuis plus longtemps), il semblerait que ce phénomène a tendance à se diffuser dans beaucoup de catégories socio-professionnelles. Selon différentes études, les cadres assumeraient, voire revendiqueraient cette porosité des temps, et affirmeraient être capables de construire leurs propres règles. Cependant nombreux sont également ceux qui évoquent de réelles difficultés à élaborer des stratégies pour concilier leurs différentes shpères de vie, voire même évoquent une forme d’addiction à ces équipements numériques néfaste en terme de repos, de disponibilité temporelle et mentale.

Et vous, que pensez-vous de cette interpénétration, dûe aux outils numériques, de la sphère professionnelle dans la sphère personnelle et vice-versa ? Ce brouillage de la frontière vie privée / vie pro vous pèse-t-il ou au contraire, vous arrange-t-elle ? Avez-vous mis en place des stratégies de régulation ?

4 thoughts on “Le numérique brouille la frontière vie pro / vie perso

  1. Sujet très intéressant que tu évoques…

    Personnellement, ça m’arrange beaucoup. Je suis consultante, munie d’un ordinateur portable et d’une clé 3G depuis mon arrivée dans ma boîte (déplacements chez les clients obligent). Depuis que je suis devenue consultante senior, j’ai également un Blackberry.

    Le matin, je reçois des alertes par mail sur l’actualité de mon secteur d’activité, que je peux lire tranquillement dans le métro sur mon Blackberry… ou alors je vais sur mon Twitter perso, toujours sur le Blackberry 🙂

    Le soir, je peux partir plus tôt du bureau en prenant mon PC, dîner avec ma famille, coucher ma fille, et retravailler ensuite. C’est, pour moi, bien préférable à une « nocturne » au bureau : je fais une vraie pause, je vois mon mari et ma fille… et pour mon mari c’est plus sympa aussi de ne pas être seul à gérer le dîner, le bain de notre fille et son coucher. Ensuite, on peut retravailler au calme tous les deux si nécessaire.

    Les limites, j’apprends à les poser. Je n’envoie pas de mails aux clients en dehors des horaires normaux de bureau, sinon c’est la porte ouverte aux sollicitations permanentes. Je ne prends pas mon PC en vacances. Je prends le Blackberry en vacances mais je ne le regarde pas plus d’une fois par jour pour gérer d’éventuelles urgences. Je ne travaille pas le week-end. Par contre je travaille un peu de chez moi quand je suis en arrêt maladie ou que je garde ma fille malade…

    Pour un cadre, il me semble que l’essentiel est le résultat obtenu, pas les horaires. Je n’ai aucun scrupule à arriver tard le matin et/ou partir tôt le soir, à partir du moment où le travail est fait. J’applique la même chose à mes équipes : tu as tel travail à faire pour telle date, appelle-moi si tu veux échanger sur le sujet, organise-toi comme tu veux mais j’attends le livrable en temps et en heure, ou a minima que tu m’alertes si tu as des difficultés.

    J’ai remarqué que, souvent, les gens n’osent pas dire non, surtout lorsqu’ils sont plus juniors. Il m’est arrivé de demander à un collaborateur de faire une tâche, qu’il me dise oui, et de me rendre compte ensuite qu’il avait travaillé tard le soir pour terminer à temps, parce qu’il avait d’autres contraintes. Maintenant, surtout quand je travaille avec des gens que je connais peu, je leur dis explicitement : « ne reste pas tard pour finir, dis-le-moi si tu as besoin de plus de temps ». Les échéances sont quand même souvent négociables…

    J’ai quand même l’impression que, plus on a de responsabilités, plus c’est difficile à gérer…

    Sur le fait que ça ne concerne pas que les cadres : oui, absolument. Mon père est artisan, à son compte, et depuis toute petite je connais cette porosité entre la vie perso et la vie pro : il avait son atelier à côté de notre maison, la même ligne téléphonique pour son entreprise et pour la maison, les clients qui appelaient à 8h du matin, à 20h, le samedi, les jours fériés, les chantiers qu’il finissait le soir tard, les dimanches à l’atelier pour terminer des travaux promis ou à l’ordinateur pour faire sa compta sans être dérangé par les appels de clients…

    Mais aussi les jours où il décidait qu’il prendrait 3h pour passer du temps avec moi, et ses copains qui débarquaient à l’improviste pour prendre l’apéro un mardi ! 🙂 Le téléphone portable a facilité ça pour lui aussi.

    C’est important que ça fonctionne dans les 2 sens. Travailler plus, plus souvent, plus longtemps, mais aussi bénéficier de la flexibilité quand on a besoin de davantage de temps perso.

      

  2. @Marie : un grand merci pour ton témoignage très intéressant et riche d’enseignements !

    Je constate que tu t’es fixée des règles d’utilisation de ces outils et que parallèlement, tu parviens à en tirer le plus utile pour toi en termes de flexibilité et de conciliation des temps de vie.

    Sinon, je ne peux qu’apprécier ta façon de manager en fonction des résultats et non de la présence :-), en laissant ainsi le choix à tes collaborateurs de s’organiser au mieux en fonction de leurs objectifs et de leur façon de travailler.

    Concernant le fait que cela ne concerne pas que les cadres, les artisans/auto-entrepreneurs (mais aussi certains profs) connaissent effectivement bien cette porosité qui parfois leur convient parfaitement et parfois moins ! (il serait également intéressant d’avoir l’avis de l’entourage…).

      

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