Témoignages vie privée / vie pro

Conciliation vie privée / vie pro : Agnès témoigne

id AGRNouveau témoignage autour de la conciliation vie privée / vie pro avec Agnès, 42 ans, 3 enfants, consultante en ingénierie pédagogique, après une carrière d’ingénieure en entreprise. Un grand merci à elle pour sa confiance et sa sincérité !

Peux-tu nous décrire ton parcours professionnel et personnel ?

Je suis ingénieure en génie civil. Le génie civil représente l’ensemble des constructions civiles hors bâtiments, à savoir les ponts, les ouvrages d’art, les tunnels, les réseaux de fibre optique, d’eau, le stockage des déchets, etc. J’ai suivi une prépa techno, sans doute influencée par ma mère qui était professeur de maths…en prépa techno 😉 puis j’ai intégré l’école qui est devenue l’INSA de Strasbourg.

A 20 ans, je n’avais aucunement conscience de la difficulté à concilier les contraintes du monde du travail et celles de la vie de famille. Je me voyais travailler comme ingénieure, avec une carrière linéaire… 😉 Mais j’allais petit à petit découvrir que cela n’était pas si simple que cela et que les entreprises ont encore beaucoup de chemin à parcourir pour aider leurs salarié-es à concilier travail et famille.

J’ai été salariée 15 ans au sein de différentes entreprises privées, ce qui m’a permis de beaucoup apprendre en terme de management et d’organisation. J’ai débuté chez Suez comme ingénieure études, où je me suis occupée de génie civil appliqué à l’environnement (montage de dossiers d’installations classées, études d’impact environnemental, prise en compte des règlementations techniques, coordination avec l’administration et les populations – ce qui n’est pas la partie la plus simple !). J’ai suivi des projets très intéressants et au niveau humain, c’était très riche. Mais je me suis également rendu compte des limites des grosses structures en terme de management et d’efficacité.

Ensuite, je me suis occupée d’installation de réseaux de biogaz (gaz produit par la fermentation des déchets et qui peut constituer une source d’énergie alternative), en alternant études et chantier. J’ai notamment travaillé sur des projets de réhabilitation de sites de stockage de déchets ménagers à Hong Kong. Etant données leurs contraintes en surface de terrains disponibles et la densité de la population, les sites de stockage doivent être réhabilités. Cela m’a donné l’occasion de travailler sur des projets de haute technicité et à gros budgets et avec des équipes multiculturelles (chinois de Hong Kong, australiens, américains, irlandais…) où j’étais la seule femme et la seule dont la langue maternelle n’était pas l’anglais.

Ensuite, j’ai souhaité évoluer vers une structure plus petite car je ne supportais plus les réorganisations tous les 6 mois…et j’ai choisi une PME spécialisée dans l’hydrogéologie où je suis restée 3-4 ans. J’y ai fait de la gestion de projets pour des sites pollués, du traitement d’eau usées et des sites de stockage de déchets. C’est à cette époque que j’ai eu mon premier enfant. J’ai repris à plein temps après mon congé maternité.

Puis, j’ai évolué vers une société qui fabrique des produits pour le génie civil et le bâtiment. Je travaillais à la direction technique, en tant que responsable des produits pour le génie civil, je veillais à ce qu’ils soient en conformité avec la réglementation et obtiennent les agréments techniques. J’ai particulièrement apprécié ce poste où j’étais en liens avec les intervenants internes et externes à la société.

Parallèlement, j’ai eu 3 enfants. Pour le 2ème, j’ai pris un congé parental d’éducation à temps partiel en ne travaillant pas le mercredi. Mais ce fut hélas un peu le début de la fin pour ma « carrière » dans le génie civil ! Je faisais l’équivalent d’un plein temps en terme de charge de travail mais je n’étais payée que 80%… De plus en termes de progression, de reconnaissance, d’augmentation, de prime, cela fut très pénalisant, alors que j’étais toujours très impliquée. Il faut dire que j’étais la première femme cadre embauchée au sein de cette entreprise. On m’a sommée de choisir entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle. Lorsque mon 3ème enfant est arrivé, j’ai décidé de faire une pause et de prendre un congé parental. La première année, j’étais bien occupée avec mes enfants, dont 2 non scolarisés. J’ai pas mal cogité : si au niveau affectif, c’était l’explosion de bonheur, au niveau professionnel et intellectuel, je ressentais de la frustration. J’ai alors décidé de faire un bilan de compétences. Il en est ressorti une envie de transmettre. Cela ne m’a pas beaucoup surprise (avec une mère prof et un père dans les RH !). Durant mes études d’ingénieure, j’avais effectué en parallèle un DEA, ayant à un moment envisagé une carrière d’enseignante-chercheur. Mais pour des raisons personnelles et familiales, j’avais finalement choisi d’entrer dans la vie active le plus rapidement possible.

Cette notion de transmission m’intéressait également beaucoup en tant que parent. Qu’est-ce que je transmets en termes d’éducation et de valeurs à mes enfants ?

Quel premier virage prends-tu alors ?

Je décide alors de passer le concours pour être professeure des écoles. A l’époque, la formation était rémunérée. J’ai aimé cette période d’apprentissage et relever le challenge d’un concours, que j’ai d’ailleurs réussi du premier coup. C’est alors que s’est posé le problème de la garde d’enfants. Impossible d’avoir une place en crèche… J’ai finalement eu la chance de trouver une super nounou, elle-même en pleine reconversion professionnelle (de la restauration vers la garde d’enfants). Cela m’a permis de partir travailler l’esprit serein et reposé. J’ai suivi l’IUFM en alternance puis j’ai été titularisée et « jetée » dans le grand bain de l’Education nationale. Je me suis vite rendu compte qu’au niveau des outils cognitifs, j’étais à l’aise. Il ne s’agit pas seulement d’enseigner un savoir-faire mais également un savoir-être. Tout ceci m’a confirmé dans un premier temps mon nouveau choix d’orientation professionnelle. Mais gérer une classe de 30 jeunes enfants, ce n’est pas rien et au bout de trois ans, j’étais toujours sur plusieurs écoles et classes, parfois différentes le matin et l’après-midi ! J’étais épuisée, je n’avais jamais autant travaillé que depuis que j’étais enseignante. De plus, il y a de très nombreux paramètres à prendre en compte dans une classe : sa composition, la complexité de phénomènes sociaux qui reposent (trop ?) sur l’école, des familles en difficulté ou démunies face à leurs enfants, des familles très consommatrices par rapport à l’école, des problèmes liés à ce que l’on appelle les enfants-roi, c’est-à-dire des enfants sans cadre et qui sont souvent angoissés et déstructurés, etc.

J’ai aussi rencontré des personnes merveilleuses au sein de l’EN. Mais j’ai compris qu’il fallait 10 ans pour être performante dans ce métier alors qu’au bout de 6 mois, dans mes précédents postes salariés, j’avais l’impression de les maîtriser. Seulement là, cela ne dépendait pas que de moi et de ma bonne volonté ou de mon énergie. Au final, j’ai trouvé l’Education nationale assez peu respectueuse de l’être humain, ce qui est quand même paradoxal étant donnée sa finalité…

J’ai alors pris la décision d’opérer un second virage. Je souhaitais concilier la pédagogie qui m’intéresse au plus haut niveau et la gestion de projet que j’avais appris à mener à bien en tant qu’ingénieure. J’ai choisi de me tourner vers la formation pour adultes. J’ai rapidement été recrutée à temps partiel par une société qui fait de la formation à la fois en présentiel et à distance (blended learning). Il s’agit de choisir les bons outils en fonction des publics, des modalités, des objectifs de formation, etc. Mais il me manquait le lien humain, les échanges entre collègues ou avec les apprenants. Ceci m’a décidée à créer ma propre structure début 2013. J’ai choisi le statut d’auto-entrepreneur pour débuter et tester mon activité. En revanche, je n’ai pas trouvé de réseaux ou de structures d’accompagnement lorsque je me suis lancée. Force Femmes est réservée aux femmes de plus de 45 ans par exemple et de nombreuses structures ou aides s’adressent essentiellement aux personnes au chômage.

Je propose des prestations d’ingénierie pédagogique à la fois aux entreprises et aux formateurs. Souvent, ces derniers ont l’expertise, mais pas forcément le savoir faire, les bons outils pour transmettre leurs connaissances. Je les aide à construire pas à pas leur formation (planifier le déroulement de la formation, alterner les outils, améliorer les supports, respecter le temps imparti, etc.).
Autre exemple, j’ai récemment aidé une jeune femme à préparer l’oral pour Sciences-Po en l’aidant à gérer son stress et sa prise de parole. Si elle n’était pas 100% détendue pendant son oral, elle m’a confirmé que cette formation l’a énormément aidée !

Pour étoffer mon réseau, je fais partie du réseau Inform’Elles (le 1er réseau des professionnelles de la formation créé en 2010 et qui compte aujourd’hui une centaine de membres) et je suis active sur les réseaux sociaux.

En tant qu’indépendante, je rencontre des personnes passionnantes, souvent avec des parcours peu linéaires ou atypiques, comme le mien. J’ai vraiment l’impression d’être en accord avec mes valeurs de vie. J’ai également le sentiment de pouvoir exprimer mon côté artistique et créatif (je chante au sein d’un chœur et je suis également soliste). Je vis un vrai enrichissement par rapport à ma vie salariée.

Selon toi, quels progrès pourraient et devraient effectuer les entreprises pour aider leurs salariés à mieux concilier travail et famille ?

En entreprise, tant que je fonctionnais « comme un homme », cela allait bien ! Mais dès que j’ai souhaité un peu plus de flexibilité pour ma vie de famille, cela a commencé à ne plus aller ! Je trouve que les entreprises ont du mal à inventer d’autres façons de fonctionner, pour les femmes comme pour les hommes. Par exemple, mon mari, qui travaille au sein d’un grand groupe, même s’il est très épanoui et reconnu dans son travail, est soumis lui aussi à des contraintes, à des déplacements qu’il ne choisit pas et sur lesquels il est mal vu de discuter -il part en Asie 2 semaines toutes les 6 semaines environ-. Je pense qu’il serait possible de davantage anticiper les déplacements, afin que les deux parents n’aient pas de déplacements en même temps par exemple.

Je pense qu’il est important pour les enfants qu’au moins un de deux parents s’occupe davantage d’eux car ils ont besoin d’une structure, d’une présence, d’une stabilité. Cette vision que je percevais de façon intuitive m’a été largement confirmée par mon expérience à l’éducation nationale : les enfants livrés à eux mêmes vont mal… Mais cela m’a désespérée que l’un de nous deux doive lever le pied et que cela soit moi !

J’aimerais que la France s’inspire du modèle danois ou anglo-saxon qui considère qu’il est absurde de travailler de 9h00 à 19h ou 20h. Les Danois préfèrent commencer plus tôt, vers 8h, mais terminent vers 16-17h. C’est une question de mentalité. La culture du présentéisme est très pénalisante pour les femmes. Or le temps de travail n’est pas corrélé à l’efficacité ! Il est temps de déconnecter le temps de présence et rendement…

Autre innovation intéressante : les crèches d’entreprise avec des horaires un peu étendus, même si je ne suis pas favorable à y laisser de jeunes enfants durant des plages horaires trop longues.

Enfin, concernant le fait que les hommes soient mieux payés que les femmes à poste égal, je l’ai vécu dans ma carrière, sans oublier la suspicion de maternité… Il faut vraiment que tout cela évolue !

Je pense également que les femmes s’auto-censurent. Par exemple, avant d’accepter une promotion, elles veulent être sûres de posséder 100% des compétences, ce qui n’est pas le cas des hommes. Maintenant, je suis consciente de ce phénomène, mais cela m’a pris des années ! Les entreprises pourraient aider les femmes à analyser et dépasser leur auto-censure plus rapidement.

Pour résumer, je souhaiterais un peu plus d’anticipation, de souplesse, de compréhension et d’évolution des mentalités.

La conciliation vie pro / vie perso, est-ce un sujet dont vous parlez régulièrement en couple ? Et si oui, est-ce que cela donne parfois lieu à des désaccords ?

Oui, c’est un sujet dont on parle souvent. Mon mari, par exemple, n’était pas conscient des discriminations que les femmes pouvaient subir dans leur vie professionnelle, jusqu’à ce que j’en discute avec lui. De façon plus générale, oui, il s’agit d’un sujet sensible au sein de notre couple car j’ai l’impression d’avoir fait des concessions (ce qui veut dire « lâcher quelque chose ») et donc forcément, ce n’est pas toujours évident à vivre.

Un dernier petit mot ou un conseil ? ….

Il me semble qu’aujourd’hui, avec la crise mondiale, la place des femmes dans la société est en régression et l’équilibre vie privée – vie pro plus fragile. Sans être excessivement pessimistes, restons vigilantes et vigilants.

Néanmoins, en regardant le chemin parcouru, je me sens aujourd’hui plus près de mes valeurs et de mes aspirations personnelles. Si j’ai évolué, c’est aussi grâce à mes enfants et au soutien de mon mari.

Je recommanderais aux femmes de poursuivre leur route en étant au clair avec leurs valeurs, leurs aspirations profondes, en gardant du temps pour leur développement personnel et en se connectant avec des réseaux de femmes en lien avec leurs activités tant personnelles que professionnelles.

13 thoughts on “Conciliation vie privée / vie pro : Agnès témoigne

  1. Merci pour cet intéressant témoignage.


    Je me pose des questions sur cette histoire d’efficacité (ça rappelle un peu le fameux « temps de qualité » passé avec les enfants). A moins d’avoir une collègue soit très peu douée, réalise-t-on vraiment autant de travail en 28h (un 4/5e contraint par les horaires nounou/école) qu’elle en 40h (un plein temps qui déborde un peu) ?


    Sinon je ne vois pas bien l’intérêt de faire 8h00 – 17h00 plutôt que 9h00-18h00 (avec un trajet un peu long vous êtes bonne pour vous lever avant 6h00 …)

      

  2. Nathalie,
    Merci de votre commentaire.
    Pour ce qui est de l’efficacité, il me semble qu’il ne s’agit pas seulement d’un calcul d’heures, mais bien d’une capacité de production accrue dans un temps identique. Cependant, une partie du temps mesurable est bien souvent récupéré sur la pause déjeuner, voire sur le travail rapporté à la maison et effectué le soir…
    En outre, le fait de devoir gérer enfants et boulot permet de trouver des raccourcis sur les éléments non prioritaires 😉 et de gagner en efficacité.

      

  3. Merci Agnès pour votre témoignage. Il faudrait que de plus en plus de femmes s’imposent dans le monde du travail pour arriver à faire changer les mentalités. Lisez le livre de Shéryl Sandberg  » en avant toutes, les femmes, le travail et le pouvoir » qui encourage les femmes à ne pas lacher leurs projets et que tout est possible si on s’en donne les moyens.

      

  4. Un parcours pluridisciplinaire, riche, et surtout en accord avec ses valeurs et ses aspirations personnelles, tout en préservant sa famille (ce qui me semble crucial, la stabilité du cadre familial étant le socle de l’épanouissement de tout enfant), le parcours de Agnès est exceptionnel !

      

  5. Oui merci pour ce témoignage !

    Il faut oser bouleverser les habitudes, lutter contre la culture du présentéisme, s’affirmer, ne pas tout accepter…et impliquer les hommes dans ce changement de mentalités.

      

  6. Je me retrouve dans ton témoignage.

    Professeur des écoles, t4, toujours brigade. 30 ans et épuisée du terrain et de devoir travailler autant sur des remplacements longs, des niveaux differents, des équipes peu porteuses de projets…
    L idée d une reconversion pour le respect de moi même est là.

      

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