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« Éloge de l’enfant roi » de Marlène Schiappa

J’ai lu avec intérêt « Éloge de l’enfant roi » de Marlène Schiappa (François Bourin Editeur, 16 euros, 224 pages). Marlène est présidente de l’association Maman travaille (yahoo.mamantravaille.fr) et directrice éditoriale d’une agence de presse. Elle est mère de deux enfants. Elle a également publié le guide « Maman travaille » (éditions First).

Sous ce titre volontairement provocateur et polémique, Marlène part en guerre contre l’autoritarisme, la dictature des dogmes éducatifs de l’éducation, et défend l’enfant gâté (« adoré, adulé » mais « pas pourri »). Elle estime que mieux vaut un enfant gâté qu’un enfant brimé, un enfant épanoui qu’un enfant standartisé. Elle précise qu’un enfant roi n’est pas un enfant tyran, ni impoli. Jusque là, je suis d’accord avec elle. Je suis contre les injonctions péremptoires, les « je sais mieux que tout le monde ce qu’il faut faire », je me méfie des experts qui donnent des conseils qui souvent varient avec les années. Je suis pour des enfants inventifs, fantaisistes, autonomes, attachants, drôles, vifs, malicieux, etc. et je trouve triste les enfants qui ne sont que des répliques miniatures de leurs parents et élevés pour satisfaire uniquement leurs attentes et désirs.

Qu’est-ce qu’un enfant roi selon Marlène ?
Je la cite. « Un enfant roi est celui qui décide par lui-même, un enfant entouré et choyé, gâté matériellement et qui bénéficie d’une grande liberté de choix ». « Globalement, il peut manger des frites à chaque repas, et des bonbons juste avant, regarder la télé, se faire offrir ce lui lui fait envie, discuter avec les adultes, y compris quand ceux-ci préféreraient « rester entre eux », ne pas prendre son bain s’il n’a pas très envie de se mouiller, s’exprimer sur tous les sujets qui lui tiennent à coeur, et sa parole est sacrée pour ses parents qui veillent en permanence à son bien-être matériel et affectif en partant d’un principe simple : nul autre que soi ne sait mieux ce qui est bon pour soi-même. L’enfant étant une personne à part entière, lui seul sait ce dont il a besoin, sans que cela n’exclue pour autant qu’il connaisse des limites à ses envies ».
« Un enfant roi n’est pas un enfant livré à lui-même, au contraire il est un enfant très entouré par ses parents, qui font de son bien-être une ambition et un souci quasi-permanents ».

Mais indique-t-elle, si l’enfant est roi, il ne règne que sur lui-même, pas sur ses parents (qui ont un droit de veto si l’enfant transgresse les règles de prudence, ou celles fixées par la loi).

Elle estime qu’un enfant roi développe un certain nombre de qualités et compétences et qu’il devrait devenir un adulte heureux, épanoui, valorisé, qui a confiance en lui et en ses capacités, « un adulte démocrate » pour reprendre ses mots.

Marlène défend sa thèse avec conviction. Pour cet essai rédigé, on le sent, avec passion, elle cite des études sociologiques et des paroles d’experts de l’éducation. C’est argumenté, agréable à lire. Elle manie l’ironie et l’attaque avec verve.

Mais je ne suis pas d’accord avec elle.

Bien sûr qu’il n’y a pas UN bon modèle d’éducation et que celle-ci doit être centrée sur l’enfant (reconnu comme une personne), ses besoins, sa personnalité. Mais pour elle, les seules limites à fixer à l’enfant sont celles, extérieures, fixées par la société (la loi, l’école) – et par l’argent. Pour moi, il y a également les limites fixées par les valeurs et les principes que nous, parents, souhaitons transmettre. Si je peux comprendre qu’il puisse être bon et sécurisant d’être un « enfant roi » les premiers mois de sa vie (nourrisson et bébé), je ne pense pas que cela soit bon lorsqu’il devient un enfant puis un adolescent.

Et donc oui, je cadre l’usage de l’ordinateur et de la télévision à mes enfants, leur consommation de bonbons, leur horaire de coucher. Cela ne veut pas dire que je suis contre la télévision ou les nouvelles technologies (bien au contraire, je pense qu’Internet est une formidable invention, à condition d’en connaître également les limites et les dangers…) mais je pense que l’enfant n’est pas toujours en mesure de se fixer lui-même les limites raisonnables. Cependant être ferme ne veut pas dire être rigide… Ainsi, si l’heure d’aller au lit est fixée à 20h30 la semaine, bien sûr que cela pourra être 20h45 ou 21h00 si l’enfant souhaite finir son livre, voire 21h30, 22h ou plus tard, les week-end, lors de sortie chez des amis ou durant les vacances scolaires. Cela ne veut pas dire non plus que les limites, les règles que nous fixons, sont indérogeables. Au contraire, elles le sont parfois, mais alors ces dérogations, rares, n’en sont que meilleures, me semble-t-il.

Je prends un autre exemple utilisé par Marlène, celui du caprice au supermarché. Tous les parents l’ont malheureusement connu. Mais contrairement à elle,  je ne suis pas pour céder à ce genre de caprice. Lorsque mes enfants me faisaient un caprice pour obtenir un oeuf Kinder devant la caisse ou un tour de manège supplémentaire, nous ne leur accordions pas. Nous préférions expliquer à l’avance qu’il y aurait 1 ou 2 ou 3 tours de ménage mais que cela ne servirait à rien d’en réclamer un de plus. Idem au supermarché, je leur explique que « non, ils n’ont pas besoin d’oeuf  Kinder ». En revanche, ils avaient eu le droit de choisir quelques-uns de leurs gâteaux préférés au rayon goûters. Pour moi, céder à un caprice, cela serait implicitement faire croire à l’enfant que la colère, la violence est une façon efficace d’obtenir satisfaction. De même, si l’un de mes enfants me demandait d’avoir une télévision dans sa chambre, nous ne satisferions pas à sa demande. Et si l’un d’eux me dit qu’il préfère jouer à l’ordinateur plutôt que de faire ses devoirs, je ne vais pas accéder à son désir.

En effet, selon moi, on peut être à la fois un enfant épanoui et avec des limites, des cadres. L’autorité peut être juste et explicative, à ne pas confondre avec l’autoritarisme. L’autorité et l’emploi de la force ou la contrainte, sont deux choses très différentes. Je regrette un peu que Marlène, lorsqu’elle évoque l’autorité le fasse à travers des exemples extrêmes, d’autoritarisme dangereux ou néfastes pour l’enfant et qu’elle oppose les partisans de l’enfant roi à des exemples excessifs d’autorité tels que Amy Chua avec L’hymne de bataille de la mère tigre ou Michel Pearl et Éduquer son enfant.

Certes, faire preuve d’autorité entraîne forcément des situations où l’enfant ne décide pas par lui-même (de son menu, de ses horaires, de son comportement). Selon moi, ces gestes d’autorité sont posés pour le guider vers les comportements et les valeurs que nous estimons dignes d’être transmis et inculqués (à savoir, la curiosité des goûts, le respect de certaines règles du vivre ensemble, le sens du partage, etc.). Pour moi, « l’autorité est un acte d’amour, posé pour l’enfant et non pas contre lui, c’est en cela qu’elle est légitime » (pour reprendre les mots de Denis Marquet dont je viens de lire « Nos enfants sont des merveilles« ). « Eduquer un enfant, ce n’est pas le protéger toujours contre le manque ; c’est au contraire, accepter qu’il puisse se trouver insatisfait et, parfois, lui imposer des frustrations. C’est ainsi que l’autorité pose des limites à la pulsion » poursuit Denis Marquet.

D’autre part, j’ai des difficultés aussi à imaginer ce que peuvent donner dans les faits une fratrie d’enfants rois. Car si chaque enfant décide par lui-même, mais pas forcément dans le même sens, que faire ? Si l’un a envie d’aller à la piscine, l’autre au parc et le troisième au cinéma, que fait-on ? Si l’un veut manger à 11h, l’autre à 12h et le dernier à 13h, on fait trois services ? Et si chacun veut manger un plat différent ? Il me semble qu’au sein d’une famille avec plusieurs enfants, les parents sont aussi là pour canaliser et cadrer les désirs et les envies de chacun afin que tout le monde se sente écouté mais tout en sachant respecter des règles de vie commune.

Comme tous les parents, notre souhait le plus cher est de faire de nos enfants des êtres humains épanouis, équilibrés, bien dans leur peau, ayant une bonne estime d’eux-mêmes, respectueux des autres, avec le sens du partage, de l’effort, etc. Bien sûr, je ne prétends nullement avoir la recette miracle, connaître la solution pour y parvenir. L’éducation est quelque chose d’éminemment personnel, liée à la propre éducation que l’on a reçue et à la personnalité de chaque enfant. L’éducation est une mission à la fois passionnante et exigeante, qui demande de savoir se remettre en question et d’être humble, mais qui nécessite également selon moi de savoir parfois être ferme (mais juste, enfin, je l’espère, même si je suis parfaitement conscience que parfois nous devons être injustes…mais être parent, c’est être imparfait et faire des erreurs, on le sait, tous !). L’éducation, pour parodier maladroitement Forrest Gump (oui, je sais, mes références ne volent pas très haut !!), c’est un peu comme un bonbon qui serait tendre à l’extérieur mais ferme à l’intérieur. Car, oui, parfois, je suis persuadée qu’il faut fixer des limites, apprendre la frustration aux enfants…L’enfant est une personne, certes, mais en devenir et c’est à nous parent (et pas seulement à la loi ou à l’école) de l’aider à devenir un adulte structuré en lui fixant des limites, des règles de comportement, même si elles lui semblent difficiles à accepter sur le moment.

Je ne pense pas que cela soit incompatible d’être à la fois aimé, écouté, compris, considéré et cadré.

N’hésitez pas à réagir ! Cela me ferait plaisir d’en débattre avec vous.

Et merci à Marlène de m’avoir permis de tenter de retranscrire mes réflexions sur ce sujet passionnant, mais ô combien complexe !

PS : ayant déjà étant très longue, je n’ai pas abordé d’autres points que soulève Marlène dans son essai comme son chapitre sur « L’enfant caché » où elle estime que dans nos sociétés occidentales, l’enfant n’est pas le bienvenu dans l’espace public (sauf s’il se comporte en adulte) ce qui la révolte. Peut-être ce sujet sera-t-il l’objet d’un autre débat 😉

 

7 thoughts on “« Éloge de l’enfant roi » de Marlène Schiappa

  1. Je vous remercie d’avoir écrit un article aussi complet. Je viens de commencer l’ouvrage de Marlène Schiappa et vu son titre, en effet provocateur, je me suis mise en condition de le lire sans à priori. J’irai jusqu’au bout du livre pour me faire mon opinion, et par respect pour son auteur.
    Toutefois, cela m’a plu que vous insistez autant sur l’importance du cadre en éducation, ce, dans une société de plus en plus individualiste. Nombre de parents l’oublie, trop souvent.

      

  2. Chère Gaëlle, merci de nous donner un avis éclairé et éclairant sur le sujet…
    En ce qui me concerne, n’ayant pas encore lu le livre je ne peux donner un avis aussi détaillé que le tien mais tes arguments me semblent tout à fait proche de la vision que nous avons de l’éducation.
    Le cadre est primordial pour nous et pas uniquement celui de la loi ou de la prudence et c’est celui des valeurs que nous voulons leur donner et principalement l’apprentissage du respect des autres : des adultes, des autres enfants, de la vie en communauté/famille etc.
    A fortiori pour moi qui suis à la maison et qui m’occupe de mes deux enfants – presque 4 ans et presque 2 ans- car je me dois qu’ils apprennent à respecter le fait que je ne peux être dévolue 24h sur 24 à leurs désirs et leurs caprices.
    Et je suis d’accord avec toi sur le fait que la frustration peut leur apporter : en effet, si je dis ‘Non, il n’y aura pas de TV’, j’essaie de les amener vers un autre jeu (faire des dessins, lire un livre ensemble etc.) qui a mon sens développera leur imagination, leurs connaissances etc.
    Dernier point sur lequel je te suis à 100%, c’est que il n’y a pas 1 mais plusieurs modèles d’éducation et que chaque famille/parent fait ce qu’il veut mais surtout ce qu’il peut 😉
    Bon, je crois que je vais l’acheter ce bouquin pour me faire un avis encore plus éclairé…

      

  3. Marlène m’a gentiment envoyé son livre, et je suis en train de le terminer.
    Je salue l’initiative de clouer le bec aux théoristes du prêt-à-penser, j’admire le boulot abattu et la diversité des recherches qu’elle a effectuées…

    Mais dans le fond, c’est bien simple, je ne suis d’accord avec… RIEN. Chaque page me fait bondir, je crois que je n’ai jamais ressenti ça avec aucun livre.
    Je m’empresserai d’en faire une « critique » sur mon blog… forcément subjective, puisque basée sur ma propre vision de l’éducation des enfants (à l’opposé des idées de ce livre).

    Mais en même temps j’apprécie vraiment le travail de Marlène, et je sais que ce qu’elle cherche, en amenant des idées bien tranchées et pas toutes mesurées, c’est à créer le débat.
    je crois que cet objectif sera atteint 😉

      

    1. Bonjour Marine, Je viens d’aller lire ton billet, encore plus fouillé que le mien ! Je vais le relayer sur la page Facebook de mon blog. Je crois que nous partageons pas mal de choses en commun par rapport à l’éducation. J’ai comme toi regretté que Marlène utilise des arguments excessifs (je te cite « A l’excès des théories autoritaristes, elle répond de la même manière, finalement ») et qu’elle n’ait choisi que des « experts » de l’éducation qui allaient que dans le sens de sa « démonstration ». En tout cas, cela permet de beaux débats 🙂

        

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