Il y a quelques semaines, j’ai posté le dernier billet de la rubrique Paris/province sur twitter. Marjorie a réagi en me disant (gentiment) qu’il lui semblait que partir à l’étranger était un changement plus marquant que de quitter Paris pour aller vivre en province (ce qu’elle a fait il y a quelques années). Pas faux ! Nous avons échangé quelques tweets sur le sujet (pour moi, il y a quand même une différence non négligeable entre la capitale et la province – je peux en témoigner !) et j’ai eu envie d’en savoir plus sur son parcours pro et perso. En quelques mots : Marjorie a 39 ans, elle est travaille pour Médecins sans Frontières (MSF) à Genève et a 2 enfants. Je lui laisse la parole pour vous en dire plus !
« D’aussi loin que je me souvienne, j’ai eu cette envie quasi « tripale » de voir le monde et de « contribuer » à en alléger les souffrances.
Je viens d’une famille de classe moyenne (de Lyon) où on ne voyage pas. Pas de bi-nationalité. Une seule langue maternelle. Mais dès ma majorité, la soif de découvrir m’a tenaillée. J’ai choisi de faire un bac B car c’est celui qui demande le moins de choix: toutes les matières sont là et elles comptent toutes. J’ai choisi ensuite Sciences Po car on y apprend plein de choses très différentes sur plein de sujets et on est au coeur de l’actualité et du monde. J’ai enchainé les stages (Handicap International, organisation d’une expo à Paris sur les réfugiés, HCR à Genève), les études se sont rallongées (1 an d’échange au Canada, une maîtrise à la Sorbonne, un DESS en Suisse, toujours dans les Sciences politiques, les relations internationales, le monde quoi! ;o).
J’ai appris l’anglais, l’italien, puis l’espagnol et ai même fait 2 ans d’arabe dans le cadre d’un DUMAC (Diplôme universitaire sur le monde arabe contemporain). Bref, une sorte d’hyper active de l’apprentissage et de la découverte.
J’ai vécu ma première expérience de terrain dans le nord du Kenya, dans le camp de réfugiés de Kakuma, 80’000 réfugiés en 1999. Une seule envie après 2 mois passés là-bas: repartir.
En 2000, je termine (enfin!) mes études. J’ai alors 25 ans et je veux partir travailler pour une ONG. Je postule dans tous les sens. Toujours la même réponse: pas assez d’expérience. Trop junior. Qu’à cela ne tienne, j’ai un contact pour dormir à Phnom Penh. Je prends un billet d’avion et une grosse valise et je quitte Genève en novembre 2000.
Ce pays a été pour moi une expérience incroyable. Une rencontre avec les gens, la culture, l’histoire. Lorsque je suis arrivée, j’ai été retirer dans un bureau la liste des ONG présentes dans la capitale et j’ai littéralement fait du porte à porte. Un jour j’ai été mise en contact avec un gars qui était en train de mettre en place un programme de formation professionnelle pour des jeunes issus de milieux défavorisés. Ce sont des enfants chiffonniers, ils travaillent sur la décharge municipale de Phnom Penh dans le quartier de Stung Mean Cheah. Le principe (mandat) de l’ONG « Pour un Sourire d’Enfant », depuis 1996, en partenariat avec le programme alimentaire mondial, c’est de donner du riz aux familles en échange de quoi l’enfant arrête de travailler sur la décharge et va à l’école. Il faut savoir que le travail sur la décharge, c’est une horreur, émanations toxiques de plastiques brûlés, déchets dangereux, les gens trient toute la journée sous un soleil de plomb ou sous une pluie de mousson torrentielle qui engendre des torrents de boue et de déchets. Bref, c’est une catastrophe humanitaire et sanitaire !
En 2000, les plus jeunes scolarisés ont déjà 15, 16 ou 17 ans. Que faire de jeunes qui savent certes lire et écrire mais rien d’autre? L’idée est donc de les former professionnellement pour qu’ils puissent trouver un boulot et ne pas retourner dans l’enfer de la décharge. Quand je rencontre le chef de ce projet, je lui explique que certes je n’ai pas d’expérience mais que je suis là, disponible immédiatement, pas chère mais pas bénévole non plus. Il m’engage comme chef de projet sur Siem Reap pour développer le réseau PSE et un centre de formation professionnelle dans la ville culturelle et touristique par excellence, là ou des millions de touristes viennent chaque année visiter les fameux temples de la cité d’Angkor.
Je déménage donc à Siem Reap et signe un contrat avec PSE: salaire net 250 USD 8bon pour vivre là bas, c’est pas mal, mais c’est sur que pour partir en vacances en Thailande, c’est limite!), logée, blanchie, nourrie et assurance maladie et rapatriement prise en charge. Ce salaire « local » me donne beaucoup de légitimité, de respect, d’ancrage dans la communauté et je me sens du coup très en adéquation avec le monde qui m’entoure. Mes amis des Nations Unies avec leur 4×4 rutilent, leur 5’000 dollars nets d’impots et villa avec domestiques et jardiniers, sont certes très heureux mais je trouve plus compliqué de s’intégrer dans une société où le salaire moyen est de 30 USD avec de telles conditions. Mais c’est un autre débat.
En 18 mois, j’ai ouvert un centre de formation et développé des partenariats avec tous les hotels, restaurants, administrations, centres touristiques, magasins d’artisanat etc. Tout le monde me connait, tout le monde connait mon projet et pas mal d’acteurs économiques sont prêts à m’aider. J’ai monté des cours de langue, de tissage. J’ai placé plus de 50 jeunes en formation, stage ou emploi directement dans des structures de la ville ou de la région. J’ai créé également des sortes de sessions de sensibilisation pour les jeunes de Phnom Penh, à Siem Reap, pour qu’ils découvrent les métiers possibles, les formations qui pourraient leur permettre d’exercer telle ou telle profession, de femme de chambre, à secrétaire, en passant par démineur dans l’armée! L’étendue des possibles pour des enfants/jeunes dont le seul paysage a été une montagne de déchets est une motivation en soit.
En 2002, j’ai envie rentrer, de me poser un peu et de penser un peu à ma vie perso, mise de côté depuis (trop?) longtemps.
Je rebondis très vite puisque je commence mi-2002 à bosser pour l’Organisation mondiale de la Santé, dans la lutte antitabac à Genève. D’abord en support technique à la rédaction de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, ensuite en charge d’un projet de formation d’ONG sur ce nouvel outil et enfin dans la communication. Je reste 4 ans.
En 2005, je rencontre le père de mes filles.
Je quitte en 2006 l’OMS pour un retour à mes premières amours, l’humanitaire, le développement, l’éducation etc. Je renonce à quasi 50% de mon salaire (oui travailler à l’ONU c’est TRES avantageux!) pour diriger un petite ONG, Casa Alianza Suisse qui vient en aide aux « enfants des rues » de 4 pays d’Amérique latine: Mexique, Honduras, Nicaragua et Guatemala. Je pars à l’étranger environ 1 mois par an.
Quand on est seul, sans famille (en 2006, mon copain, n’est encore que mon copain…), ce genre de choix est plutôt facile. Seules les tripes conduisent la réflexion. Je ne suis pas sure que j’aurais quitté l’OMS si j’y étais aujourd’hui, avec ma famille à soutenir.
Après 6 ans, la solitude (j’étais la seule employée de mon ONG) et le sentiment d’avoir fait le tour des choses me font à nouveau bouger même si je décide de rester au Conseil d’Administration de Casa Alianza bénévolement.
C’est ainsi que je débarque en 2012 dans l’ONG de mes rêves, l’organisation qui me faisait vibrer par ses prises de parole et ses actes alors que j’avais 15 ans: Médecins sans Frontières. J’accepte un poste d’assistante de la Direction générale (en me disant, bon, ok, ce poste est en deça de mes ambitions ou de mes compétences, mais l’idée c’est de mettre un pied dans l’organisation). Je suis restée à ce poste jusqu’en septembre de cette année où j’ai accepté un poste de chargée de communication interne et de reporting institutionnel (NDLR : Marjorie a postulé pour ce poste durant son congé maternité et a été choisie).
Mais venons-en à l’analyse après cette description extensive de CV. Je suis (selon moi) la plus chanceuse des femmes de ma génération car je fais partie, je crois, d’une minorité qui vit de sa passion, qui se lève le matin en se disant: chouette, je vais bosser. Et pourtant, rien n’est facile. J’ai accouché en février de ma deuxième fille. La première à 5 ans. Et je jongle entre mon boulot à 100% et ma vie de famille. Mes filles sont ce que j’ai de plus précieux mais malheureusement, les journées ne font que 24h et ma vie est une course permanente contre la montre. J’ai aussi la chance d’être épaulée par mon conjoint, qui gère énormément la logistique du quotidien. Mais quel défi de concilier ce temps avec ses enfants et cette vie professionnelle! Et encore, je me déplace très peu, je n’imagine pas ce que cela serait si je devais aller sur le terrain tous les mois. Je ne suis pas à plaindre mais étant une maman très protectrice, très inquiète du bonheur et de l’épanouissement de sa progéniture, je ressens d’autant plus les contraintes. Nous n’avons pas de famille « en ville » et tout coûte très cher en Suisse (garde, baby sitting, etc.)
Le congé maternité ici, c’est 4 mois. Depuis le jour de l’accouchement. Avant l’accouchement, il s’agit d’un congé maladie. Moi j’ai travaillé jusqu’au dernier moment les deux fois. Pour mon ainée, au premier jour du 5ème mois j’étais de retour dans ma petite ONG. Mais comme je faisais ce que je voulais, gérais mes horaires, etc. c’était assez confortable. Je suis passée à 90% sur 4 jours (ici 100% c’est 40 heures !) donc c’était 4 jours assez intenses mais du coup, j’avais une journée par semaine avec ma fille.
A MSF, j’ai prolongé mon congé mat avec des vacances et du sans-solde. Ca m’a permis de couvrir l’été (sans école, sans crèche, sans garde). J’ai pris en tout 7 mois. Le pied!! Passer tout ce temps avec son bébé (surtout quand on sait que c’est le dernier!), et tout l’été avec ses 2 enfants, un allaitement super facile, bref, que du bonheur! Et aucune frustration de reprendre le boulot, au contraire, après 7 mois, j’avais besoin de retourner dans le feu de l’action! Evidemment, c’est dur de laisser son tout petit bébé fragile à la crèche mais on s’adapte !
(Marjorie me précise que sa fille aînée va à l’école et que la seconde à la crèche. C’est souvent le papa, indépendant, qui va la chercher à la crèche vers 18h15. Par ailleurs, en Suisse, les salariés disposent de 4 semaines de congé payés, parfois 5 selon les secteurs d’activité. Les RTT n’existent pas. Marjorie est actuellement satisfaite de la qualité de vie que lui offre Genève. « Nous ne sommes pas stressés ». Elle se déplace à vélo pour aller à son travail. En revanche, la recherche d’un appartement n’est pas chose aisée. « La Suisse est un pays agréable pour élever des enfants ». Petites précisions obtenues lors d’un échange téléphonique)
Beaucoup de jeunes, d’étudiants, viennent me voir pour savoir comment on peut faire de l’humanitaire, comment travailler pour une ONG. C’est extrêmement difficile aujourd’hui, mais avec de la volonté et un parcours ayant de la valeur ajoutée, je suis convaincue qu’on arrive à tout. Il faut se donner toutes les chances de vivre ses rêves.
Mon envie secrète et profonde: refaire un tour sur le terrain. Soit par missions ponctuelles qui n’impliquent que moi, soit pour un bout de temps avec la famille. MSF travaille essentiellement dans des contextes d’urgence et de conflit, crise, épidémie donc pas idéal pour les enfants. Mais bon, il y a peut être d’autres voies à explorer pour partir voir un peu ailleurs si on y est, sans mettre notre vie en danger… à suivre… J’ai toujours mille idées dans ma tête, de vacances originales, de projets de famille, de « tiens si on allait vivre 1 an dans un pays anglosaxon pour que les filles parlent anglais », ah « tiens si je faisais un master en public health par correspondance pour me redonner un peu de poids académique sur un CV », en passant par « les concours de fonctionnaires internationaux pour l’Etat français, est-ce que c’est accessible? ». Ca bouillonne là dedans! ;o) Pour l’instant, en tout cas, je suis « coincée » à Genève pour 4 ans car j’ai demandé la nationalité suisse pour moi et mes filles et c’est le temps que ça prend, avec obligation de résider pendant toute la procédure sur le territoire suisse ».
Vous pouvez retrouver Marjorie sur twitter @marjotouitte
Bravo Marjorie pour ce témoignage remarquable !
Signe que nous pouvons être « maitre de notre destin et capitaine de notre âme ».
Vous avez ainsi avec beaucoup de pugnacité et de volonté transformé bien des difficultés en opportunités. Que de richesse humaine accumulée que vous allez pouvoir transmettre à vos filles… et un jour, en famille, les emmener « au bout du monde »
En vous souhaitant encore plein de très belles missions et des rencontres extraordinaires.
Sophie