J’ai lu Bébé made in France de Pamela Druckerman qui avait fait beaucoup parler de lui lors de sa sortie aux Etats-Unis et qui a été traduit en français en janvier 2013 chez Flammarion. J’ai trouvé cela très intéressant et, contrairement à ce que j’ai pu lire dans certains articles, assez peu caricatural. Comme l’indique Elisabeth Badinter qui a préfacé la version française, Pamela Druckerman s’est plongée dans « l’analyse comparée des cultures maternelles » et c’est « un sujet qui en dit long sur nos sociétés respectives ».
Pamela Druckerman, journaliste américaine, a épousé un anglais et vit en France depuis 2004. Ils ont eu 3 enfants, 1 fille et 2 garçons (jumeaux). Petit à petit, elle s’intéresse à la façon d’éduquer des parents français qui lui semble si différente de ce qui se pratique aux Etats-Unis. Elle décide d’enquêter en interrogeant de nombreuses familles françaises (précisons tout de suite, majoritairement des classes moyennes et supérieures parisiennes), en rencontrant des professionnels de la petite enfance, en lisant des ouvrages de pédagogie français, etc. (sa bibliographie est bien nourrie à la fin). Elle se dit assez admirative de beaucoup de facettes de l’éducation française et progressivement tente d’adopter ses principes pour ses enfants.
A travers différents chapitres agréablement écrits, remplis d’anecdotes et souvent avec auto-dérision et humour, elle tente de définir ce qui lui semble les grands principes éducatifs français : les règles d’alimentation, l’exercice de l’autorité, la façon d’apprendre à ses enfants à jouer tout seuls, le fait que les mères françaises ne sacrifient pas tout à leurs enfants mais conservent une vie de femme, etc. En revanche, elle se dit plus réticente par rapport à l’engouement pour l’autonomie accordée aux enfants (elle appréhende beaucoup les classes vertes dès le primaire !) et à la rigueur de l’enseignement français.
Certains points sont parfois un peu exagérés (par exemple, tous les enfants ne sont pas sages au restaurant – surtout jeunes, c’est quand même souvent un peu acrobatique de leur apprendre la patience et de rester assis le temps que la commande arrive ; toutes les mères ne font pas des gâteaux et de la cuisine le week-end avec leurs enfants ; toutes les femmes enceintes ne prennent pas que 12 kgs et ne reperdent pas leurs kilos supplémentaires dans la foulée ; il est rare que nos conversations téléphoniques ne soient pas interrompues par la demande pressante d’un enfant,…) et d’autres un peu sous-estimés (la malbouffe semble avoir quand même pas mal envahi la France, les caprices ne sont pas étrangers aux enfants français…). Mais dans l’ensemble, je trouve son analyse assez fine et pertinente et pour connaître un peu l’éducation à l’américaine, notamment à travers ce qu’ont pu m’en dire des amis français installés à New York, assez proche de la réalité, en tout cas, d’une certaine réalité.
Tous les enfants français ne sont pas aussi sages, bons dormeurs, bons mangeurs, autonomes, etc. que ceux présentés dans son livre, mais il me semble que les principes éducatifs qu’elle décrit sont assez justes et bien français (en tout cas, ils rejoignent beaucoup des miens, même si leur traduction n’est pas forcément toujours celle décrite dans le livre ;-)).
– Elle constate que les bébés français font en moyenne bien plus vite leurs nuits que les bébés américains, à 3-4 mois en moyenne, contre 1 an, voire beaucoup plus aux Etats-Unis. Pourquoi ? Parce que les parents français apprennent à leurs bébés à trouver leur sommeil tout seuls, progressivement. Pas en les laissant hurler toute la nuit, mais en apprenant à ne pas aller voir leur bébé dès qu’ils pleurent ou sont réveillés.
– Elle remarque que les enfants français mangent une alimentation beaucoup plus équilibrée et variée (légumes, fruits…) que les enfants américains. Pourquoi ? Parce que les parents font goûter très tôt de tout à leurs enfants et refusent de ne leur donner que ce qu’ils veulent.
– Elle constate que l’on apprend aux enfants français à attendre (de parler quand les adultes parlent, d’attendre le goûter pour manger un bonbon, etc.)
– Elle observe que les parents français ne sont pas dans la valorisation permanente de leurs enfants contrairement aux parents américains. Ils ne les félicitent pas en permanence dès qu’ils font un dessin ou récitent une comptine. Elle souligne le fait que complimenter renforce l’estime de soi et la confiance en soi des enfants américains (ce point m’a particulièrement frappée lorsque je suis allée aux Etats-Unis et je pense que sur ce sujet, nous pourrions nous inspirer un peu des américains). Aux Etats-Unis, les enseignants seraient beaucoup plus dans l’encouragement, la valorisation alors que les enseignants français se concentreraient davantage sur le négatif et se contentent de dire que « tout va bien », mais sans rien dire de particulièrement positif.
– Elle constate que les parents accordent une grande importance à leur vie de couple, s’autorisent à confier leurs enfants très jeunes à des baby sitters pour sortir le soir ou aux grands-parents pour partir en vacances à deux. Elles ne sacrifient pas leur vie d’adulte et de femme lorsqu’elles deviennent mères, alors que les mères américaines, c’est souvent Kids First et elles ont davantage de mal à concilier leurs rôles de mère et de femme. « En France, le message social dominant est que même si le rôle de parent est important, il ne doit pas écraser les autres » tandis qu’aux Etats-Unis, « il est acquis que lorsque vous avez des enfants, votre temps ne vous appartient plus ».
– Elle étudie avec curiosité le cadre avec des limites fermes que donnent les parents français à leurs enfants tout en leur laissant une grande liberté (mais à l’intérieur de ce cadre), alors que les parents américains ont plus de difficulté avec l’autorité, à fixer un cadre. « Les parents français affirment être très stricts sur certains points et plutôt souples sur tout le reste ». Ils n’auraient pas peur de traumatiser leurs enfants en les frustrant tandis que les parents américains, s’ils estiment les limites cruciales, ont également la conviction que les enfants ont besoin de s’exprimer. « Les parents anglophones craignent qu’être trop strict n’étouffe la créativité de leurs enfants ».
– Elle liste l’éventail de services publics qui rendent le fait d’avoir des enfants plus attractif et moins stressant et qui aident les femmes à retravailler : crèches, écoles maternelles et tout cela gratuitement ou du moins, à un coût fort raisonnable, sans oublier le congé maternité, les PMI, la rééducation périnéale prise en charge par la sécurité sociale…. Aux Etats-Unis, les crèches sont mal perçues et peu de mères souhaitent y mettre leur enfant. Elles préfèrent les garderies privées, les preschools mais fort onéreuses et qui ne sont ouvertes que quelques heures par jour.
– Les parents français ne sont pas dans la sur-stimulation permanente contrairement aux parents américains. Ils ne pensent pas que « plus c’est tôt, mieux c’est » et veillent à ce qu’ils vivent leur enfance. Tandis que les américains pensent que leurs performances de parent se mesurent à la vitesse à laquelle se développeront leurs enfants : « nous croyons que le rythme auquel avancent nos enfants dépend de nos décisions et de notre engagement ». « Ne pas commenter une descente de toboggan présente ainsi un risque beaucoup trop élevé pour être pris – surtout si les autres parents s’y appliquent ». Concernant cette sur-stimulation, j’ai envie de dire que certains parents français sont devenus très américains, cf. activités extra-scolaires de plus en plus jeunes, de plus en plus nombreuses, cours de langue dès 2 ans, etc. Je me souviens que le Monde a écrit récemment un article sur ce sujet qui était assez édifiant ! (mais je n’ai plus les références exactes).
– Elle aborde également d’autres points intéressants : les grossesses qui sont abordées avec beaucoup plus d’anxiété et d’injonctions culpabilisatrices aux Etats-Unis, les 4 repas par jour français qui évite le grignotage, le goût pour les repas pris en famille assis autour d’une table, la politesse et l’apprentissage des 4 mots magiques « merci, s’il te plait, bonjour, au revoir » alors qu’aux Etats-Unis les enfants ne connaîtraient que les 2 premiers, l’allaitement vis à vis duquel les françaises ne se mettent pas la même « pression » que les américaines, les goûters d’anniversaire (en France, les parents « larguent » leurs enfants puis vaguent à leurs occupations, trop heureux d’avoir quelques heures de liberté tandis qu’aux Etats-Unis, les parents restent avec leurs enfants. Petite anecdote : Pamela Druckerman dit qu’en France, lorsque les parents reviennent chercher leurs enfants, on leur offre une coupe de champagne…j’avoue ne jamais avoir vu cela ! un petit café et une part de gâteau, oui, mais pas de petites bulles !
– En conclusion, elle dénonce l’hyper-éducation ou overparenting des parents américains et admire d’une certaine façon la parentalité plus sereine des parents français qui estiment qu’ils n’ont pas à être au service constant de leur enfant. Elle ne dit pas que les mères françaises ne se sentent pas coupables (de travailler, de ne pas passer assez de temps avec ses enfants, etc.) mais qu’elles gèrent mieux cette tentation de la culpabilisation et tentent de la bannir, en se rappelant que la mère parfaite n’existe pas.
Bref, j’ai trouvé cette « enquête » et ces observations vraiment intéressantes et je ne peux que vous conseiller de le lire pour vous faire votre propre avis et de venir ensuite le partager ;-).
Selon moi, son livre permet de mieux réaliser que certains principes éducatifs que nous pensions relever du bon sens sont en fait très largement culturels. Et puis, avouons-le, cela fait plaisir de voir les Français recevoir des compliments ! Je cite Pamela Druckerman : « Jamais l’on ne m’avait dit que l’éducation était l’un des fleurons de la culture française, comme la mode ou le fromage. Personne ne visite Paris pour s’imprégner de la position française sur l’autorité parentale et la gestion de la culpabilité ».
■ Articles/vidéos sur le livre Bébé made in France
– Le rêve américain ? La french education ! un article paru dans Madame Figaro
– Marine du blog Une chambre à moi avait écrit un billet sur ce livre lorsqu’il était paru aux Etats-Unis (et non encore traduit en France). Nos avis sont proches (ce n’est pas la première fois d’ailleurs !).
– Un billet de Marlène sur Mamantravaille, beaucoup plus mitigé que le mien
– Les bienfaits de l’éducation à la baguette, un article du Monde
– Pamela Druckerman interviewée dans l’Emission On n’est pas couché
– Interview radio sur France Info
Ça donne envie de lire ce fameux best-seller. Sinon le coup de la coupe de Champagne aux goûters d’anniversaire effectivement j’aimerai bien boire ça plutôt qu’un café tiédasse accompagné d’un bout de quatre quart prémaché.
FmR
@FmR : honnêtement, j’ai vraiment pris plaisir à le lire,cela m’intéresserait d’avoir ton avis ! tu m’as bien fait rire avec ton quatre quart prémâché !! Moi, hier, j’ai eu le droit à un thé délicieux et à des chouquettes bien croustillantes :-). (on se rapproche du champagne, non ?!)
Gaëlle
Cela me donne très envie de le lire…. Je vis en Italie, et je passe mon temps à faire des comparaisons! Hier soir, de 17 à 20H, anniversaire (5 ans): toute la famille est invitée, c’est normal, ainsi que toute la classe…. Animations, pizzas, barbe à papa, spectacle, chateau gonflable…. et les parents restent, inimaginable de partir avant le gâteau « princess » arrivé à 19H45. Je me demande ce qu’ils feront pour leur 18 ans…. Mais au final, j’ai passé un bon moment, et ça permet de connaitre d’autres parents, de voir les papas… L’enfant est roi ici, et la « mamma » doit être parfaite. Hier elle nous a reçus en talons 12 cm et sur son 31.
Morgane
@Morgane : merci bcp de partager ton expérience italienne ! D’ailleurs, je te conseille d’aller lire le nouveau blog de Marine intitulé Mères, ici…et ailleurs, très intéressant. (il y a d’ailleurs le témoignage d’une mère française en Italie).
La fête d’anniversaire que tu décris ressemble beaucoup à ce qui se fait aux Etats-Unis (cf les anniversaires organisés par Gabrielle pour ses filles dans la série Desperate Housewfes) et commence à arriver en France, me semble-t-il. Vu de France, on se demande parfois où s’arrêtera la surenchère mais là encore, on découvre le poids de la culture.
Amusant aussi de voir que la mère se met une grosse pression pour faire bonne impression, pour paraître sous son meilleur jour, investit dans une nouvelle tenue, etc. alors qu’en France, cela serait plutôt jeans et pas forcément maquillée 😉 (enfin, moi en tout cas !)
Gaëlle
Je viens de lire ta chronique et cela m’a vraiment donné envie de lire ce livre. C’est intéressant de voir comment nous, parents français, nous pouvons être perçus même si je suis persuadée que nous sommes perçus bien meilleurs parents que nous pouvons l’être des fois 😉 et même entre parents nous avons toujours l’impression que les autres font mieux que nous dans l’éducation des enfants 😉
Florence31000
@Florence : merci pour ton commentaire (en plus, le premier, c’est toujours un plaisir de voir une nouvelle personne !).
Je te rassure Pamela ne dit pas que les parents français sont parfaits, ni leurs enfants ! En revanche, elle est séduite par certains principes et tente de les appliquer sur ses enfants (surtout lorsque ses enfants pratiquent la crèche et l’école maternelle française) : sommeil, alimentation variée, savoir profiter du square pour papoter avec les autres parents et non plus se sentir obligée de s’asseoir à côté de son enfant et de tout commenter ;-), non ferme et non pas hésitant, etc.
Sinon, assez d’accord avec toi lorsque tu écris que les parents ont souvent l’impression que les autres s’en sortent mieux !
Gaëlle
« Elle observe que les parents français ne sont pas dans la valorisation permanente de leurs enfants contrairement aux parents américains. »
Même conclusion que toi, en France on négativise tout, on manque de confiance en nous, cela se voit dans le sport ou l’on est toujours en train de critiquer, et avec des sportifs mentalement plus faibles, comme au tennis.
Nous n’avons pas l’esprit de compétition et nous nous contentons souvent de la médiocrité, surtout si elle partagée par tous.
Cela se voit aussi dans les innovations qui viennent souvent des USA quand en France on ne fait plus grand chose…
Patrick
@Patrick : merci pour votre commentaire. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour souligner que cette différence culturelle dans l’éducation entre la France et les Etats-Unis a des répercussions sur les enfants devenus adultes. Là encore, Pamela Druckerman analyse assez finement les différences de comportements des parents et enseignants français et américains. Les seconds félicitent beaucoup, encouragent sans cesse, soulignent le positif tandis que les premiers (surtout les enseignants, dit-elle) sont beaucoup plus dans la retenue et ne parlent vraiment aux parents que lorsque quelque chose ne va pas, sinon, ils se contentent d’un « tout va bien » laconique et non pas d’un « super, beau travail ! ».
Elle explique également que cette valorisation permanente chez les parents américains est à double tranchant : importante et positive pour la confiance en soi, l’expression orale (les américains osent beaucoup plus facilement prendre la parole, exprimer leurs avis et opinions) et le fait que l’échec est bcp moins stigmatisé, mais peut-être également dangereuse car les enfants comprennent vite que quoi qu’ils fassent, ils seront encouragés et félicités et que devenus jeunes adultes, ils ne sont pas très bien préparés aux premières difficultés et critiques. Selon certaines études, « certains étudiants habitués à être portés aux nues deviendraient réfractaires aux risques et manqueraient d’autonomie » tandis que les français seraient mieux protégés du rejet et de la déception.
En tout cas, vu de France, on a vraiment l’impression que les Etats-Unis encouragent bien plus l’innovation (même si elle ne fonctionne pas) et sont plus optimistes/positifs.
Gaëlle
Je l’ai acheté à sa sortie mais pas encore eu le temps de le lire… Hâte de pouvoir m’y plonger ! Il va falloir que j’étudie la partie sur le sommeil des enfants, parce que ma fille de 11 mois se prend pour une américaine et ne fait toujours pas ses nuits (alors que son grand frère dort parfaitement depuis ses 3 mois).
Merci en tout cas pour ce résumé.
Agathe
Je n’ai pas lu le livre, je ne me base que sur votre article. Elle a peut-être raison Pamela mais vivant à l’étranger depuis 10 ans maintenant (Australie, Etats-Unis), je constate que les petits français qui paraissent si bien élevés petits ne deviennent pas très courtois en devenant adultes comparés à leurs homologues Américains ou Australiens …
J’observe qu’aux US par exemple, les gens font la queue pour prendre le bus ou le métro, qu’ils laissent sortir les gens avant d’y entrer, qu’ils laissent facilement leur place assise aux personnens agées, handicapées et femmes enceintes, qu’ils sont beaucoup plus aimables et moins ronchons en général, qu’ils sont beaucoup plus courtois sur les routes, plus ouverts sur les autres cultures s’agissant notamment de l’alimentation etc…. Et puis n’a-t-on pas dit récemment que les Français étaient les champions du monde du pessimisme ? Et qu’en grande majorité ils n’étaient jamais satisfait de leur vie ?
Alors je me demande, c’est bien beau d’élever des enfants pour en faire des être dociles et laisser la paix à leur parents si au final ils ne se sentent pas si bien que ça dans leur peau une fois adulte ?
Qu’en pensez-vous ?
Tallucine