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Quand les cadres se rebellent

Je viens de finir « Quand les cadres se rebellent » des sociologues David Courpasson et Jean-Claude Thoenig (Vuibert, 2008). Le premier est professeur à l’EM-Lyon et le second est directeur de recherche au laboratoire Dauphine Recherche en Managemement (CNRS).

Les auteurs se sont penchés sur 7 histoires de rébellion chez des cadres (6 hommes et 1 femme, entre 32 et 42 ans) ) bien intégrés dans leur entreprise, très investis dans leur travail, plutôt à haut potentiel d’ailleurs, mais qui un jour décident de se rebeller.

« Un jour, brusquement, sans crier gare, alors que personne ne s’y attend, pas même eux, ils disent « Non, cela suffit comme ça, c’est intélorable, ils exagèrent, je n’accepte pas ce qu’on m’impose, à quoi bon, basta ! ». 

Comment s’exprime leur rebellion ? Celle-ci prend des formes très diverses : le refus d’une promotion qui nécessiterait de partir dans les 72 heures, ou d’un poste qui serait contraire à leurs valeurs ou qui ne leur permettrait pas d’avoir les moyens de mener à bien la mission demandée, ou encore le refus de l’arrêt d’un projet de R & D ou d’un nouveau système d’évaluation des agences dans un banque, etc.

Pour les deux auteurs, ces actes de rébellion ne sont pas des simples « pétages de plomb », des colères mal maîtrisées, ou le signe d’une trop grande fatigue ou de stress particulier. Au contraire, ces révoltes et contestations méritent d’être observées et analysées, d’autant qu’elles sont plus nombreuses qu’on ne se l’imagine, même si elles sont souvent invisibles, silencieuses et occultées. « Les rébellions nécessitent que l’on s’en inquiète. En particulier quand les discours sur le management sonnent franchement creux et que le décalage entre les entreprises et la société devient grouffre. »

Quand un cadre se rebelle-il ? Lorsque l’entreprise est entrée dans une zone interdite, celle de la sphère privée de ses salariés, répondent les auteurs. Ou lorsque le cadre pense qu’une décision prise est une erreur.

Qu’est-ce qui provoque cet acte de rébellion ? 

Les auteurs estiment que le carburant de la rébellion est fourni par « les ratés du management » (management par le chiffre, management à distance, etc.). La rébellion est le plus souvent associée à un style hégémonique de gestion et de management, « une hégémonie managériale subtile, qui exerce une contrainte douce et anonyme, et non pas brutale et personnalisée ».

Sur quoi portent ces rébellions et quels sont leurs objectifs ? 

Premier point important : ces rebelles ne cherchent pas à détruire l’entreprise, ils ne sont ni anarchistes, ni anti-capitalistes ou anti-mondialistes. Leur rébellion n’est pas idéologique.

Pour eux, résister, c’est contester des évidences. « Or il y a beaucoup d’évidences dans le management actuel : l’évidence de la flexibilité, de la mobilité, de l’agilité, l’évidence de la diversité et de la différence ».
Ainsi les revendications de la rébellion portent essentiellement sur la gestion des ressources humaines et des affaires. Les rebelles s’emparent de thèmes qui sont traditionnellement réservés aux élites, au top management, aux dirigeants. Ces causes concernent des décisions et des pratiques gestionnaires : critères d’évaluation ou des performances, opportunités d’investissements statégiques, etc.

Ces cadres cherchent également à ce que soit conservée ou reconfigurée leur autonomie dans leurs zones de sociabilités privées. « Au fond, ces cadres rebelles cherchent à entretenir, préserver ou gagner leur estime d’eux-mêmes, à construire une identité que l’entreprise à travers son management en acte leur refuse ».

Sur quoi débouchent ces rébellions ?

Selon les auteurs, ces rébellions peuvent être bénéfiques, constructives et performantes par leurs effets collectifs si elles parviennent à transformer une cause individuelle en débat de pratiques managériales et de gestion. Car la rébellion véhicule et produit de la créativité.

Déjà par le fait que les contestataires modifient leur itinéraire de vie (certains cadres en s’excluant de leur entreprise, d’autres en restant mais en parvenant à faire évoluer les choses). 

Mais aussi parce que la rébellion est porteuse de nouvelles formes de culture professionnelle, d’organisation et de pouvoir au sein de l’entreprise. « Elle explore et construit de nouvelles façons d’agir ensemble, de nouvelles solutions et façons de produire, d’interagir avec la société et de servir les besoins de ceux qui la composent ».

En conclusion, les auteurs estiment que « les rebelles ne veulent pas du tout détruire l’autorité et raser l’entreprise. Plus simplement, ils en refusent certaines façons de faire et d’agir. Et ils proposent des solutions alternatives acceptables. En ce sens la rébellion devient un processus créatif susceptible d’engendre des retombées positives pour l’entreprise ».

Pour aller plus loin, 3 liens sur le livre ou le sujet :

Le portail français des sciences sociales (un article critique (dans le bon sens du terme) d’Igor Martinache)

une interview vidéo de Jean-Claude Thoenig réalisé par le magazine Newzzy

Les cadres se rebiffent, une interview très riche de Gaétan Flocco sur regards.fr (celui-ci évoque le livre « Quand les cadres se rebellent »  mais estime que la portée de ces rébellions est très relative et que ce qui domine actuellement en entreprise ce sont les rapports de consentement (càd d’acceptation). Il  préfère parler de crise de confiance plutôt que de parler unilatéralement de malaise des cadres.

6 thoughts on “Quand les cadres se rebellent

  1. Bravo pour ce blog et pour la qualité de l’info ! (Pas étonnant vu que tu es journaliste…). On peut aussi imaginer que ces rebellions sont des systèmes de sauvegarde qui préservent les cadres français des fameux burn out si à la mode en ce moment – et que je connais bien pour y être passée !).
    A bientôt Gaëlle,
    Guylaine

      

  2. bienvenue Guylaine ! c’est vrai que quelque part, ces actes de rébellion sont une manière de se protéger, de protéger son identité. Et d’éviter d’atteindre un point de non-retour qui pourrait être beaucoup plus violent.

      

  3. De rien, mais j’ai peur que le café-clope sur tapis roulant soit tout de même un peu…dangereux (risque de brulures!)… A méditer !

      

  4. Merci Priscilla !
    Dans ta revue du web, j’ai beaucoup aimé l’album des logos pour les nuls » et la vidéo m’a bien fait rire (moi, cela serait plutôt café-clope que bureau-tapis roulant, mais bon chacun ses goûts !!!)

      

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