Lu pour vous

Marge brute, une chronique cruelle du monde du travail

Avec Marge brute, son premier roman (qui vient de sortir en poche), Laurent Quintreau nous plonge au sein d’un comité de direction d’une multinationale. A travers les monologues intérieurs de onze cadres, il décrit un univers fait de luttes de pouvoirs, d’hypocrisies et de règlements de compte. Une charge au vitriol à découvrir d’urgence.

En deux heures, on n’imagine pas tout ce qu’il peut se passer dans la tête de cadres lors d’un comité de direction. Laurent Quintreau s’est amusé à se glisser dans la tête de onze cadres. Et ce n’est pas triste ! Placé sous le signe de la Divine Comédie de Dante, ce roman est découpé en trois parties (l’enfer, le purgatoire et le paradis) et onze chapitres au cours desquels les personnages prennent la parole à tour de rôle sous forme de monologue intérieur. Ces cadres supérieurs commentent la réunion et les personnes qui les entourent tout en nous faisant part de leurs pensées intimes et de leurs désirs les plus secrets et pas toujours très reluisants.
Au choix : le quotidien ultra minuté d’une cadre mère de famille, le cynisme dépravé du jeune cadre branché, la perversion froide de la femme de pouvoir, la violence autodestructrice du chef d’entreprise déchu, le patron qui parle de marge brute, de compression des effectifs (« cette odieuse masse salariale »), de réduction des coûts, la chef du personnel complètement horrifiée et déprimée,
etc.
Au sommet, Laurent Quintreau
installe Rorty, un chef cynique, « l’oeil fixé sur la ligne bleue de la marge opérationnelle » et décrit ainsi par l’un des protagonistes : « quand je pense qu’il ne cesse de se faire mousser auprès des medias, de se présenter comme le fervent défenseur des droits de l’homme, du développement durable et du dialogue social (…) il nous donne des leçons de civisme alors qu’il se comporte comme un porc, un porc immonde et
abject ».

Avec ces points de vue très contrastés, Laurent Quintreau dénonce les jeux de rôles destructeurs produits par le monde du travail et les positions hiérarchiques. Sous la plume incisive de l’auteur, l’entreprise apparaît comme un milieu
très
dur, violent. « Un lieu de prédation institutionnalisée » dit l’un de ses personnages. « L’entreprise de demain sera dure, parfaite et implacable, les faibles, les moches, les gros, les vieux, les lents et les idiots n’auront aucune chance d’y survivre ».
Même si le trait est (volontairement) forcé, noir, Laurent Quintreau pointe du doigt, avec humour, les névroses actuelles, les conflits dans l’entreprise, les enjeux de pouvoirs, les concepts à la mode (« process », « savoir-être », « redynamisation des flux », « capital image », « marketing éthique », « petit déjeuner à idées »), les théories du management en cours (« bouillie philosophico-anthropologico- managériale »), etc. Autour de cette table, l’auteur a rassemblé un échantillon de ce que produit la vie sociale et le travail en entreprise. Laurent Quintreau cherche à montrer qu’au sommet de l’entreprise, chacun est en guerre contre tous : pour conserver sa place, monter dans la hiérarchie, se faire bien voir… Il montre aussi le choc des générations, des valeurs. « Je savais que le
monde de l’entreprise était dur mais à ce point, quand je vois cet empilement d’insatisfactions, de souffrances, de ressentiment et de  de puissance ubuesque, j’ai envie de prendre mes jambes à mon cou » pense l’un des protagonistes, en période d’essai.

Sous une plume acérée, Laurent Quintreau nous invite dans un univers cruel où la tragi-comédie n’est jamais bien loin. L’entreprise est une comédie humaine où les passions se déchaînent. Un premier roman mordant qui mérite l’attention

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