Témoignages vie privée / vie pro

Conciliation vie perso / vie pro : Emmanuelle témoigne

emmanuelleAprès Étienne il y a une dizaine de jours, j’ai le plaisir d’accueillir le témoignage d’Emmanuelle. J’ai découvert Emmanuelle grâce à Twitter (@Mamazonzon) et à son blog, Mon homme au foyer (aujourd’hui en sommeil). Son profil un peu atypique (5 enfants, télétravail, conjoint au foyer) m’a donné envie d’en savoir plus sur son parcours et sur la façon dont elle concilie vie perso et vie pro. Emmanuelle a gentiment accepté de témoigner. Merci à elle !

Peux-tu retracer en quelques lignes ton parcours personnel et professionnel ?

Allons-y directement : je travaille depuis vingt ans dans la même entreprise. C’est un grand groupe américain, avec des activités en Europe et un siège français en région parisienne. J’y suis arrivée après mes études d’électronique. J’ai eu des débuts un peu difficiles, ayant fait des études peu adaptées au monde du travail et à l’international. J’ai commencé à vraiment m’amuser après cinq ans d’expérience, lorsque j’ai eu un poste très technique, directement aux prises avec la réalité : mon travail était de faire de réparer à distance des systèmes informatiques de nos clients (des hôpitaux).

C’est aussi pendant cette période que j’ai rencontré mon mari. Il voulait des enfants, et moi ça ne me dérangeait pas d’avoir des enfants. J’en voulais zéro ou trois. On a fait des enfants. On ne s’est pas arrêté à trois car il voulait une famille nombreuse, et moi ça ne me dérangeait pas d’avoir une famille nombreuse vu que j’adore avoir des enfants, et que je m’étais renseignée sur des listes de discussion, sur internet : ce n’est pas déraisonnable d’avoir plein d’enfants, il faut juste être indifférent au regard des autres, et il y a de multiples façons de gérer le quotidien et les vies professionnelles. Du coup, on a cinq enfants. Quatre filles, et un garçon en deuxième position. Ils ont aujourd’hui entre 8 et 16 ans.

Au début, nous travaillions tous les deux à plein temps. J’ai été très choquée quand la nourrice de ma première fille m’a demandé si je reprendrais à plein temps après la naissance du deuxième. Je n’avais jamais pensé à un temps partiel. A ce moment, mon mari était éducateur et n’envisageait pas non plus de temps partiel, avec l’argument “dans ce métier, ça ne se fait pas”. Sauf qu’un des directeurs de sa structure l’a fait, lui, un temps partiel pour faire une formation en parallèle sans relation avec son travail. Cela a ouvert la brèche: en fait, dans son métier, ça se faisait. Il l’a fait.

Finalement, après estimations financières et de qualité de vie, nous avons repris chacun à temps partiel, mon mari et moi. Je ne travaillais pas le mercredi, il ne travaillait pas le vendredi. Je pense que cela a été une étape décisive pour la suite : nous avons chacun expérimenté le concept de la journée de semaine avec des bébés, manger – sieste – parc de jeux – coucher..

Nous avions trois enfants quand j’ai posé ma candidature pour un poste en expatriation, en Allemagne. On avait notre plan : on irait, on aurait des enfants bilingues et mon mari serait père au foyer. Le poste ne s’est pas concrétisé, mais le chemin était fait dans nos têtes. Mon mari s’est mis en congé parental. Il avait alors 45 ans et sa vie professionnelle a été riche et variée : responsable dans l’hôtellerie, chef d’entreprise, puis finalement éducateur. Alors que c’est à ce moment où je commençais à vraiment me plaire dans mon travail. A la maison, c’était déjà lui qui gérait beaucoup les questions matérielles. C’est plus son truc que le mien. La différence entre nos salaires a également joué.

Il y a eu ensuite un déménagement en province, dans les Pays de la Loire. C’était notre projet de vie il nous l’avons concrétisé lorsqu’on nous attendions notre quatrième enfant. J’avais un accord informel avec mon responsable et les ressources humaines pour travailler à distance. Et bam, ça a foiré – en France, les accords professionnels ne permettaient pas le travail à distance. Là ça a été assez sport. Pendant un ou deux ans, je prenais le TGV le lundi matin, très tôt, et je rentrais le vendredi soir, tard. Avec un bébé, gardé en région parisienne par ses grands-parents. Cela fait partie aussi de l’équilibre qu’on a trouvé petit à petit avec les bébés: c’est moi qui m’en occupe jusqu’à l’âge d’un an, puis mon mari prend le relais. Cela fait partie de ma façon de vivre ma maternité, et lui sa paternité. Il a donc géré trois, puis quatre, puis cinq petits enfants seul en semaine, et ça roulait. Nos conditions de vie rattrapaient cette contrainte, et cela n’a finalement pas duré très longtemps. Mes conditions de travail ont dérivé de façon informelle vers le télétravail, du fait que j’évoluais de poste et travaillais de moins en moins avec des gens basés en France. Mon mari a tout de suite mis les règles pour me permettre de travailler sereinement de chez moi. J’ai le souvenir de tout petits enfants qui passe devant mon bureau en disant à leurs copains “chutttt, maman kravaille”

Aujourd’hui, je travaille principalement de chez moi avec des déplacements en région parisienne ou à l’étranger à un rythme tout à fait inégal, du type 3 semaines sur 4 pendant deux mois puis plus rien pendant 6 mois. Pour mon mari, c’est en fait c’est plus compliqué à gérer que lorsque mes départs étaient réguliers. Pour sa part il n’a pas repris d’emploi. Il doit parfois s’en justifier, depuis que les enfants sont tous scolarisés. J’ai même un instant pensé qu’il pourrait reprendre, mais j’ai très vite réalisé que la vie serait très compliquée : il gère la maison et les enfants, au quotidien, et fait face aux imprévus tels que les problèmes de santé des enfants. De son côté, il considère qu’il est encore en mission (“je suis père au foyer et j’aurai fini ma mission quand la dernière aura son bac”)

As-tu eu l’impression de faire (ou d’avoir fait) des concessions soit dans la sphère pro soit dans la sphère perso ? Si oui, les regrettes-tu ? Pourquoi ?

Tout notre équilibre tient sur le choix d’avoir un parent au foyer. C’est grâce à cela que nous avons pu réaliser notre projet de vie de quitter la région parisienne et d’avoir une famille nombreuse, tout en me permettant de continuer une vie professionnelle sans ressentir les contraintes matérielles du quotidien.

Les concessions dans la sphère perso pourraient être ma perte de contrôle sur le quotidien de mes enfants. Surtout quand ils étaient petits, je me rendais compte en passant quelques jours à plein temps avec eux de ce que je manquais quand je n’étais pas là. Je voyais leurs petites habitudes, les petits rituels qui m’étaient complètement étrangers. Là encore, je ne sais pas ce qu’ils prennent au petit déjeuner. C’est un constat, pas un regret car je sais que le rôle du quotidien est assuré par une personne de confiance.

Dans la sphère professionnelle, je privilégie clairement la stabilité et la sécurité. Je suis soutien de famille, j’ai de bonnes conditions de travail, une bonne couverture sociale, et pour l’instant un poste dans lequel je ne m’ennuie pas avec des gens que j’apprécie : je n’ai pas la liberté de prendre des risques professionnels en changeant d’entreprise. Cela me démange parfois.

Est-ce que le fait d’être une femme a été plutôt un atout ou un handicap durant ta carrière professionnelle ? Est-ce que tu aimerais que les entreprises évoluent sur cette question de la parentalité et quelles mesures seraient susceptibles pour toi d’accéder à une meilleure conciliation des temps de vie ?

J’ai la chance de travailler pour une entreprise dans laquelle la performance professionnelle compte bien plus que le niveau de diplômes ou le fait d’être un homme ou une femme. C’est aussi une entreprise qui affiche des préoccupations quant au bien être des salariés. Sur le site francilien auquel je suis rattachée, il y a depuis peu une crèche inter-entreprise. Parmi mes interlocuteurs hommes à l’international, beaucoup privilégient ouvertement leur vie familiale : des allemands qui quittent à 17h car c’est baby-time, les suédois qui prennent, pour de vrai, plusieurs mois de congés paternité.

En France, les indicateurs de mon entreprise montrent une égalité statistique entre les salaires des hommes et des femmes, ce qui est apparemment encore une exception dans le paysage français. Sauf que dans mon cas particulier, j’ai effectivement un salaire inférieur aux personnes qui ont mon expérience dans l’entreprise, hommes ou femmes. Ceci est plus une conséquence de mon trajet professionnel (freinage en début de carrière et peu de changement de poste, aucun à l’international) que d’une discrimination de genre. Ah oui, sauf que peut-être que mes 5 congés maternité ont quand même joué sur ma progression. De façon intéressante, quand je mets en évidence cet écart de salaire et demande son rattrapage, mes interlocuteurs concluent spontanément qu’il s’agit d’une discrimination de genre.

Je crois que depuis le début de ma carrière, études comprises, j’ai complètement occulté le fait qu’être une femme pouvait être un atout ou un handicap. Pendant mes études d’électronique, nous étions quatre filles sur la promotion. Quand je suis arrivée dans l’entreprise, une fois, unique, j’ai eu droit à un commentaire. C’était dans mon entreprise américaine mais de la part d’un vieux cadre à la française. Il m’a dit, exactement: “Vous avez deux handicaps. Vous êtes une femme et vous êtes asiatique”. J’ai halluciné. D’abord je n’avais jamais pensé qu’être une femme pouvait être un handicap ; j’avais encore plus oublié que je suis eurasienne et que cela pouvait avoir un quelconque impact professionnel. Je suis ressortie en me disant “mais il est vraiment trop con lui”, et je le pense encore. Je n’en ai pas recroisé d’autres dans le style.

Une autre fois, j’avais déjà quatre enfants, mon chef a eu une réaction paternaliste à mon égard, en toute bienveillance. Notre équipe était en passe d’être dissoute. Le premier projet (secret) prévoyait de me proposer un poste avec beaucoup de déplacements (et pas très très porteur, il faut le dire). Il exercé son influence pour faire évoluer la proposition, car il supposait que je ne voulais pas me déplacer. Je l’ai su uniquement parce qu’il m’en a parlé après coup. Je n’ai pas apprécié qu’il décide pour moi ce qui me convenait plus ou moins. En même temps, la proposition a abouti à un poste beaucoup plus valorisant et qui a boosté mon évolution.

Par rapport à tes enfants, quels sont les principes, les valeurs qui te guident dans leur éducation ? Qu’est-ce que tu trouves le plus difficile/frustrant dans le fait de concilier travail et enfants ? Sur ces questions d’éducation, de relations parent/enfant, as-tu changé/évolué ?

Je veux que mes enfants sortent du système scolaire avec des compétences valorisables sur le marché du travail. Employables, en résumé. Cela veut dire un niveau d’études, un diplôme, mais aussi un état d’esprit compatible avec le fait de travailler en entreprise. Je suis notamment attentive aux possibilités d’études en alternance avec apprentissage.

Je veux aussi qu’ils sortent du système scolaire en ayant confiance en eux et en leur capacité d’apprendre. C’est essentiel : apprendre pour évoluer dans son métier, apprendre pour changer de métier ; mais aussi apprendre pour exercer leur citoyenneté, pour défendre des causes, pour agir sur le monde.

Je veux aussi qu’ils soient conscients de leurs possibilités de faire des choix, et que ces choix ne soient pas guidée par leur genre mais par leurs aspirations, leurs projets de vie.

Comment te projettes-tu d’ici 5 ans ? As-tu des envies ou des projets particuliers ?

Projection impossible sur la vie de famille et professionnelle. On navigue à vue, on suit avec mon mari l’évolution des enfants, et je gère ma vie professionnelle. A ce jour, mais seule ambition ferme, c’est de réussir à avoir un potager pas trop foiré. Ça fait dix ans que j’essaie – succès très relatif. Je persiste 🙂

Pour information, le magazine de photoreportages 6 mois va publier dans son numéro de septembre des extraits du livre Mon homme au foyer (lui-même issu du blog) dans le cadre d’un dossier sur les pères au foyer (photographe en Suède). 

5 thoughts on “Conciliation vie perso / vie pro : Emmanuelle témoigne

  1. Un choix qu’il assument très bien apparemment, moi je dis que du moment où on s’entend bien tous ira bien ! Certes il a fallu des sacrifices au dépend de leurs vie de couple ( voyage, dîner tête à tête …) Mais l’épanouissement est là et je vous félicite pour cette organisation

      

  2. Bonjour, je viens aux nouvelles depuis ! ça va tous va bien? Vous êtes en vacances ? Où c’est par manque de temps
    A très vite j’espère

      

  3. Bonjour,un interview très riche. à mon avis il faut s’organiser et se planifier pour aboutir aux objectifs et ça va bien marcher

      

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